jeudi 4 mars 2010

Sermon sur le petit nombre des Elus.

Par Saint Léonard de Port-Maurice

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Ce n’est pas une vaine curiosité, mais une précaution salutaire, de faire retentir du haut de la chaire
certaines vérités qui servent merveilleusement à réprimer l’insolence des libertins, lesquels, parlant toujours de la miséricorde de Dieu et de la facilité de se convertir, vivent plongés dans toute sorte de péchés et dorment en assurance dans le chemin de la perdition. Pour les détromper et les réveiller de leur torpeur, examinons aujourd’hui cette grande question : le nombre des chrétiens qui se sauvent est-il plus grand que celui des chrétiens qui se perdent ? Âmes pieuses, retirez-vous, ce sermon n’est pas pour vous : il a uniquement pour but de réprimer l’orgueil de ces libertins qui, chassant de leur coeur la sainte crainte deDieu, se liguent avec le démon, lequel, au sentiment d’Eusèbe, perd les âmes en les rassurant “ immittit securitatem ut immittat perditionem ”. Pour résoudre ce doute, mettez d’un côté tous les Pères de Église, tant grecs que latins, de l’autre les théologiens les plus savants, les historiens les plus érudits et placez au milieu la Bible exposée au regard de tous. Écoutez donc, non ce que je vais vous dire, car je vous ai déclaré que je ne voulais pas prendre moi-même la parole ni décider la question, mais ce que vous diront ces grands esprits, qui servent comme de phares dans Église de Dieu, pour éclairer les autres afin qu’ils ne manquent pas le chemin du ciel. De cette manière, guidés par la triple lumière de la foi, de l’autorité et de la raison, nous pourrons résoudre sûrement cette grave question.
Remarquez bien qu’il ne s’agit pas ici du genre humain tout entier, ni de tous les catholiques sans
distinction, mais seulement des catholiques adultes, qui, ayant le libre arbitre, peuvent coopérer à la grande affaire de leur salut. Consultons d’abord les théologiens dont on reconnaît qu’ils examinent les choses de plus près et n’exagèrent pas dans leur enseignement ; écoutons deux savants cardinaux, Cajetan et Bellarmin : ils enseignent que la plus grande partie des chrétiens adultes se damnent et, si j’avais le temps de vous exposer les raisons sur lesquelles ils s’appuient, vous en seriez convaincus vous-même. Je me contenterai de citer ici Suarez qui, après avoir consulté tous les théologiens, après avoir étudié attentivement la question, a écrit ces mots : « Le sentiment le plus commun tient que parmi les chrétiens il y a plus de réprouvés que de prédestinés ».

Que si, à l’autorité des théologiens, vous voulez joindre celle des Pères grecs et latins, vous trouverez
que presque tous disent la même chose. C’est le sentiment de saint Théodore, de saint Basile, de saint
Ephrem, de saint Jean Chrysostome. Bien plus, au rapport de Baronius, c’était une opinion commune
parmi les Père Grecs que cette vérité avait été expressément révélée à saint Siméon Stylite et que c’était
pour assurer l’affaire de son salut qu’il s’était décidé, par suite de cette révélation, à vivre debout pendant
quarante ans sur une colonne, exposé à toutes les injures du temps, modèle pour tous de pénitence et de
sainteté. Consultez maintenant les pères latins, et vous entendrez saint Grégoire vous dire en termes clairs :
« Beaucoup parviennent à la foi, mais peu au royaume céleste ». « Il en est peu qui se sauvent », dit saint
Anselme, et saint Augustin dit plus clairement encore : « Il en est donc peu qui se sauvent en comparaison de ceux qui se perdent ». Le plus terrible cependant est saint Jérôme qui, sur la fin de sa vie, en présence de ses disciples, prononça cette épouvantable sentence : « Sur cent mille, dont la vie a toujours été mauvaise, vous en trouverez un à peine qui mérite l’indulgence ».
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