lundi 5 avril 2010

La "liberté" de conscience.

P.W. Deviviers S.J., COURS D'APOLOGÉTIQUE CHRÉTIENNE ou exposition raisonnée des fondements de la foi, p.465, 1906 a écrit:

A. Ce qu'on appelle libertés modernes:

Sous ce nom, on comprend d'ordinaire la liberté de conscience et des cultes, la liberté de la presse, la liberté d'enseignement et la liberté d'association.

La liberté de conscience prétend assurer à chacun le droit de professer et de propager telle religion qu'il lui plaît, ou de n'en professer aucune. Elle exige que nulle religion ne soit privilégiée, alors même que la nation en grande majorité ferait profession du catholicisme. - La liberté de la presse, affirme le droit d'exprimer par la plume, de propager par des écrits, n'importe quelle doctrine en matière morale, politique, sociale et religieuse, si entachée soit-elle d'impiété ou d'immoralité. -La liberté d'enseignement proclame que chacun a le droit naturel de propager ces mêmes doctrines par la voie de l'enseignement public. - La liberté d'association érige en droit la faculté de former n'importe quelle société, même secrète et contraire à la religion. - Et remarquons bien qu'il ne s'agit pas ici d'une simple tolérance, en vue d'éviter des maux considérables, mais de la reconnaissance de ce qu'on déclare être un droit naturel, sacré, imprescriptible. Il est bien vrai qu'on formule certaines restrictions relatives à l'usage de ces libertés; mais outre qu'elles soient illogiques, ces restrictions ne sont guères que théoriques. Aux yeux de l'État moderne, par exemple, ce n'est pas même une impiété punissable d'enseigner publiquement la non-existence de Dieu.





B. Ce qu'il faut penser de ces libertés modernes:

Elles sont fausses en principe. Subjectivement des hommes peuvent se tromper de bonne foi et se croire tenus en conscience de professer des erreurs qu'ils croient être des vérité; mais en soi, objectivement, la réalité est ou n'est pas, elle est telle ou telle. Il est donc scientifiquement faux qu'un esprit soit libre de penser de la réalité ce qu'il veut, et d'enseigner de cette réalité ce qu'il pense. Ou il se trompe ou il a raison; l'un ou l'autre. La pensée humaine ne fait pas son objet à son gré; la vérité, le devoir existent indépendamment d'elle. Par conséquent, ni la pensée n'est libre, ni la conscience. Une erreur physique, mathématique, géographique ou religieuse n'a, à proprement parler, aucun droit à se propager; on a, au contraire, le devoir de la réfuter, et si cette erreur est nuisible, d'en combattre la diffusion. Ces principes de bon sens suffisent à montrer, qu'en théorie, les libertés en question reposent sur le faux.

Or, nous avons démontré que l'Église catholique romaine est seule vraie et obligatoire pour tous les hommes. elle seule a donc, de par la volonté de Dieu, le droit de s'établir, de se propager, de s'imposer à la foi et à l'obéissance de tous les hommes.

Il suit de là que personne, ni individu, ni gouvernement, ne peut légitimement dénier ce droit exclusif de l'Église catholique, et reconnaître à l'erreur et au mal, à l'hérésie, à l'impiété, à l'immortalité, un droit naturel à exister et à se propager.

La "liberté religieuse".

Les Catholiques n’ont pas de mémoire.

Fas est ab hoste doceri

Les anciens disaient qu’il est profitable de se faire enseigner par ses ennemis. Comme il est énoncé dans l’Évangile [Luc. XVI, 8], les enfants de ce monde sont plus habiles en leur mondanité que les fils de lumière ne le sont dans le service de Dieu : Les ennemis de l’Église sont souvent plus lucides que les catholiques sur ce qui constitue les fondements de la société chrétienne, et ils savent ainsi où porter le fer pour détruire la chrétienté et perdre les âmes.

Depuis que l’Église catholique est sortie des catacombes, et qu’elle exerce donc une influence directe sur la société temporelle pour y prêcher et y établir la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la lutte que mène le monde contre ce règne de vérité et de salut a pris un caractère beaucoup plus insidieux qu’auparavant : avant de tenter d’anéantir le catholicisme dans le sang des chrétiens, on cherche à l’avilir et à le dénaturer.

L’archétype de cette nouvelle race de persécuteurs restera à jamais Julien l’Apostat. Ce prince a secrètement apostasié à l’âge de vingt ans (en 351) et ne révèle sa défection qu’au moment de son accession au trône impérial (décembre 361). Dès lors, il pratique ouvertement et quotidiennement les rites du paganisme, jusqu’à ce qu’il succombe à la bataille de Ctésiphon, le 26 juin 363. Son règne ne dure donc qu’une vingtaine de mois, mais durant ce bref laps de temps, il entreprend une lutte sans merci contre l’Église et contre la société chrétienne.

Cette lutte, il la mène en trois étapes – et c’est en cela qu’il est le modèle (si l’on peut dire) des persécuteurs : d’abord la liberté religieuse (édit de tolérance pour réhabiliter les faux dieux et humilier l’Église), puis les lois scolaires (pour exclure de l’école impériale les professeurs chrétiens, et éduquer le peuple dans un paganisme meurtrier), et enfin la persécution ouverte.

Dans la suite de l’histoire, ce diagramme proprement diabolique se renouvellera souvent : pourquoi Satan – qui, de toutes les façons, n’a pas d’imagination – changerait-il de tactique, puisque celle-ci est efficace. En nos tristes temps, il a simplement perfectionné son affaire en confiant la première étape (au moins) du processus haineux à ceux-là mêmes qu’il veut détruire.

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Chaque fois que l’État révolutionnaire « concède » l’existence aux institutions catholiques (ce qu’il prétend être maître de faire ou non), c’est moyennant l’obligation de pratiquer voire de proclamer la liberté religieuse. Ainsi la restauration de la monarchie française, après la décennie de terreur révolutionnaire et la sanglante aventure bonapartiste.

Lorsque la chute de Napoléon est consommée, les sénateurs élaborent dans la nuit du 6 au 7 avril 1814 une constitution, surnommée « constitution des rentes », pour « au nom du peuple français » rappeler « librement au trône de France » le frère du dernier roi – auquel on ne reconnaît ainsi aucun titre à régner, si ce n’est celui d’être appelé par la nation souveraine.

Cette constitution sénatoriale énonce en son article 22 : « La liberté des cultes et des consciences est garantie. Les ministres des cultes sont également traités et protégés ». Le texte en est porté au Pape Pie VII, qui la déplore et la condamne dans la Lettre apostolique Post tam diuturnas du 29 avril 1814.

Louis XVIII prend connaissance de cette condamnation, que le Pape lui fait signifier personnellement. Mais, en fidèle héritier du gallicanisme, il se montre beaucoup plus préoccupé de son propre pouvoir que du règne de Jésus-Christ et de son Église. C’est ainsi qu’il refuse la constitution sénatoriale au nom de la prérogative royale, mais que le 4 juin 1814 il octroie la Charte qui, en son article 5, brave la condamnation pontificale : « Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection ». Voilà pourquoi la Restauration n’a rien restauré du tout.

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Ainsi encore la loi scolaire française n° 59-1557 du 31 décembre 1959, dite loi Debré : elle institue les contrats entre l’enseignement privé (essentiellement l’enseignement catholique) et l’État, et stipule dès son premier article :
« Suivant les principes définis dans la Constitution, l’État assure aux enfants et aux adolescents, dans les établissements publics d’enseignement conforme à leurs aptitudes, dans respect de toutes les croyances.

« L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts.
« Il prend toutes les dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse.
« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance, y ont accès. »
Hélas, les temps ont changé : l’autorité ne condamne plus et laisse les catholiques s’engouffrer dans ce leurre où l’enseignement catholique perd, par appât du gain, son âme et sa raison d’être.

Certes, on peut dire en un sens que le gain est légitime puisqu’il n’est que la récupération de ce que l’État prélève injustement sur les familles en vue de l’éducation des enfants qui ne lui appartiennent pas. Mais l’État laïc (c’est-à-dire antichrétien) sait ce qu’il fait en demandant une telle contrepartie : lui, qui est déjà le maître de l’enseignement par le monopole des diplômes, le devient davantage encore par le biais des programmes, et par la maîtrise des salaires et des investissements.

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Les ennemis de l’Église savent donc où frapper pour dissoudre petit à petit la société chrétienne et pour ronger la foi des catholiques sans que ceux-ci ne s’en aperçoivent trop rapidement. Ils savent en outre que s’ils arrivent à faire admettre un droit à ladite liberté religieuse, c’est l’ordre moral tout entier qui reçoit un coup mortel à plus ou moins long terme, puisqu’on fait admettre qu’un droit puisse avoir un objet mauvais.

Quel triomphe pour eux que la proclamation de ce pseudo-droit à Vatican II. Ainsi, ce concile à jamais funeste enseigne implicitement que la société humaine, dont Dieu est l’auteur, n’est pas tout entière ordonnée à sa Gloire, à son règne, au salut éternel des âmes.

Ce triomphe, Fidel Castro l’exprime clairement lorsqu’il reçoit Jean-Paul II à La Havane, le 25 janvier 1998 :
« Votre Sainteté, nous partageons votre point de vue sur de nombreuses questions importantes du monde actuel, et cela est pour nous un motif de grande satisfaction. (...) Nous connaissons les efforts de Votre Sainteté pour prêcher et mettre en pratique les sentiments de respect que vous nourrissez envers les croyants des autres religions importantes et influentes qui se sont diffusées dans le monde ».
À l’expression ce triomphe, la réponse de Jean-Paul II est autant prévisible que lamentable :
« Un État moderne ne peut pas faire de l’athéisme ou de la religion un de ses fondements politiques. L’État, loin de tout fanatisme ou sécularisme extrémiste, doit promouvoir un climat social serein et une législation appropriée qui permette à chaque personne et à chaque confession religieuse de vivre librement sa foi, de l’exprimer dans les domaines de la vie publique et de compter sur des moyens et des lieux suffisant pour apporter les richesse spirituelles, morales et civiles à la vie du pays [Homélie à La Havane, le 25 janvier 1998. DC 2177 du premier mars 1998, pages 230-231].

Qui ne pleurerait en voyant ainsi la religion de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, renvoyée dos à dos avec les fausses religions et l’athéisme ? Il n’y a là rien d’autre que blasphème et apostasie sociale. L’Évangile de Jean-Paul II n’est décidément pas celui où Jésus-Christ proclame « qui n’est pas avec moi est contre moi ».

Pour un temps, c’est Julien l’Apostat qui triomphe. Jusques à quand, Seigneur ?

Abbé Belmont

La Passion de l'Eglise.

De la Passion, de la résurrection et du triomphe final de JÉSUS-CHRIST en son Église

par Mgr L.G. de Ségur


JÉSUS-CHRIST et l'Église forment un tout indivisible; le sort de l'un, c'est le sort de l'autre; et de même que là où est la tête, là également doit se trouver le corps, de même les mystères qui se sont acomplis en JÉSUS-CHRIST durant sa vie terrestre et mortelle doivent se parachever en son Église durant sa vie militante d'ici-bas. JÉSUS-CHRIST a eu sa Passion et son crucifiement : l'Église doit avoir, elle aussi, et sa Passion, et son crucifiement final. JÉSUS-CHRIST est ressuscité et a triomphé miraculeusement de la mort : l'Église ressuscitera, elle aussi, et triomphera de Satan et du monde, par le plus grand et le plus prodigieux de tous les miracles : celui de la résurrection instantanée de tous les élus, au moment même où Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST, entr'ouvrant les cieux, en redescendra plein de gloire avec sa sainte Mère et tous ses Anges. Enfin, JÉSUS-CHRIST, Chef de l'Église, est monté corporellement au ciel le jour de l'Ascension : à son tour, l'Église ressuscitée et triomphante montera au ciel avec Jésus, pour jouir avec lui, dans le sein de DIEU, de la béatitude éternelle.

Nous ne connaissons d'une manière certaine "ni le jour ni l'heure (Ev.Matth., XXV, 13.)" oû se passeront ces grandes choses. Ce que nous savons, d'une manière générale mais infaillible, parce que cela est révélé de DIEU, c'est que "la consommation viendra lorsque l'Évangile aura été prêché dans le monde entier, à la face de tous les peuples (Ibid., XXIV. 14.)" Ce que nous savons, c'est qu'avant ces suprêmes et épouvantables secousses qui constitueront la Passion de l'Église et le règne de l'Antechrist, il y aura, dit saint Paul, l'apostasie (II ad Thess., II, 3.), l'apostasie générale ou quasi-générale de la foi de la sainte Église Romaine (Corn. a Lap., in loc.cit.). Enfin, ce que nous savons, c'est qu'à cette redoutable époque le caractère général de la maladie des âmes sera "l'affaiblissement universel de la foi et le refroidissement de l'amour divin, par suite de la surabondance des iniquités (Ev.Matth., XXIV, 12)."

Les Apôtres ayant demandé un jour à Notre-Seigneur à quels signes les fidèles pourraient reconnaître l'approche des derniers temps, il leur répondit : d'abord qu'il y aurait de grandes séductions, et que beaucoup de faux docteurs, beaucoup de semeurs de fausses doctrines rempliraient le monde d'erreurs et en séduiraient un grand nombre (Ibid., 10, 11.); - puis, qu'il y aurait de grandes guerres et qu'on n'entendrait parler que de combats; que les peuples se jetteraient les uns sur les autres, et que les royaumes s'élèveraient contre les royaumes (Ibid., 6, 7.); - qu'il y aurait de tous côtés des fléaux extraordinaires, des maladies contagieuses, des pestes, des famines, et de grandes tremblements de terre (Ibid., 7.). "Et tout cela, ajouta le Sauveur, ce ne sera encore que le commencement des douleurs (Ibid., 8.)" Satan et tous les démons en seront la cause. Sachant qu'il ne leur reste plus que peu de temps, ils redoubleront de fureur contre la sainte Église; ils feront un dernier effort pour l'anéantir, pour détruire la foi et toute l'oeuvre de DIEU. La rage de leur chute ébranlera la nature (Apoc., XII, 9, 12.), dont les éléments, comme nous l'avons dit, resteront jusqu' à la fin sous les influences malfaisantes des mauvaises esprits.

Alors commencera la plus terrible persécution que l'Église ait jamais connue; digne pendant des atroces souffrances que son divin Chef eut à souffrir en son corps très-sacré, à partir de la trahison de Judas. Dans l'Église aussi il y aura des trahisons scandaleuses, de lamentables et immenses défections; devant l'astuce des persécuteurs et l'horreur des supplices, beaucoup tomberont, même des prêtres, même des Évêques; "les étoiles des cieux tomberont", dit l'Évangile. Et les catholiques fidèles seront haïs de tous, à cause de cette fidélité même (Ev. Matth., XXIV, 5, 9.).

Alors celui que saint Paul appelle "l'homme du péché et le fils de perdition (II ad Thess., II, 3.)," l'Antechrist commencera son règne satanique et dominera tout l'univers. Il sera investi de la puissance et de la malice de Satan (Apoc. XIII. 2.). Il se fera passer pour le Christ, pour le Fils de DIEU; il se fera adorer comme DIEU, et sa religion, qui ne sera autre chose que le culte de Satan et des sens, s'élèvera sur les ruines de l'Église et sur les débris de toutes les fausses religions qui couvriront alors la terre (II ad Thess. II, 4.).

L'Antechrist sera une sorte de César universel, qui étendra son empire sur tous les rois, sur tous les peuples de la terre; ce sera une infâme parodie du royaume universel de JÉSUS-CHRIST. Satan lui suscitera un grand-prêtre, parodie sacrilège du Pape; et ce grand-prêtre fera prêcher et adorer l'Antechrist par toute la terre. Par la vertu de Satan, il fera de grands prodigues, jusqu'à faire descendre le feu du ciel en présence des hommes; et, au moyen de ces prestiges, il séduira l'univers. Il fera adorer, sous peine de mort, l'image de l'Antechrist; et cette image paraîtra vivre et parler; également sous peine de mort, il commandera que tous, sans exception, portent au front ou sur la main droite le signe de la bête, c'est-à-dire le caractère de l'Antechrist. Quiconque ne portera point ce signe, ne pourra ni vendre ni acheter quoique ce soit (Apoc. XIII, II-17.). Autour des images de l'Antechrist, les prestiges de Satan seront tels, que presque tout le monde les prendra pour de vrais miracles; et les élus eux-mêmes auraient pu être séduits à la longue; mais, à cause d'eux, le Seigneur abrégera ces jours (Ev. Matth., XXIV, 22, 24.).

"L'abomination de la désolation régnera dans le lieu saint (Ibid., 15.)", pendant "trois ans et demi, pendant quarante-deux mois (Apoc., XIII, 5.)", correspondant aux quarante-deux heures qui se sont écoulées, comme nous l'avons dit déjà, depuis le commencement des ténèbres du crucifiement de JÉSUS, le Vendredi-Saint, jusqu'à l'heure de la résurrection, le dimanche de Pâques, au lever du soleil.

Quoique toujours visible et composée de ses éléments essentiels, l'Église sera pendant tout ce temps-là comme crucifiée, comme morte et ensevelie.

Il sera donné à l'Antechrist de vaincre les serviteurs de Dieu, et de faire plier sous son joug tous les peuples, et toutes les nations de la terre; et, sauf un petit nombre d'élus, tous les habitants de la terre l'adoreront, en même temps qu'ils adoreront Satan, auteur de sa puissance (Ibid., 7, 8, 4.). Si jadis le féroce Dioclétien a pu croire un instant qu'il avait définitivement détruit le nom chrétien, que sera-ce en ces temps-là, dont ceux de Dioclétien de de Néron n'ont été qu'un pâle symbole? L'Antechrist proclamera orgueilleusement la déchéance du christianisme, et Satan, maître du monde, se croira un instant vainqueur.

Mais en ces temps-là, comme nous l'apprennent et l'Écriture et la Tradition, s'élèveront contre l'Antechrist "les deux grands témoins (Ibid., XI, 3.)" de JÉSUS-CHRIST, réservés pour ces derniers jours, à savoir le Patriarche Hénoch et le Prophète Élie, qui ne sont pas morts, comme l'enseigne expressément l'Écriture. Ils viendront prêcher les voies du Seigneur. Ils prêcheront JÉSUS-CHRIST et le règne de DIEU pendant douze cent soixante jours, c'est-à-dire pendant la durée presque entière du règne de l'Antechrist. La vertu de DIEU les protégera et les gardera. Ils auront le pouvoir de fermer le ciel et d"arrêter la pluie pendant tout le temps de leur mission. Ils auront le pouvoir de changer les eaux en sang et de frapper la terre de toutes sortes de plaies (Ibid., 3, 4, 5, 6.). Ils feront des miracles sans nombres, semblables à ceux de Moïse et d'Aaron ("On peut en voir le récit prophétique en plusieurs passages de l'Apocalypse, laquelle comme chacun sait, est la grande prophétie des derniers temps de l'Église"), lorsque ceux-ci combattirent en Égypte l'impie Pharaon et préparèrent la délivrance du peuple de DIEU. Comme Moïse et Aaron, les deux témoins de JÉSUS-CHRIST ébranleront l'empire et le prestige du Maudit.

Celui-ci néanmoins parviendra à s'emparer d'eux, et ils subiront le martyre, "là où leur Seigneur a été crucifié (Apoc., XI, 8.)", c'est-à-dire à Jérusalem; ou bien peut-être à Rome, où le dernier Pape aura été crucifié par l'Antechrist, suivant une tradition immémoriale.
Après trois jours et demie, les deux grands précurseurs du Roi de gloire ressusciteront à la face de tout le peuple; et ils monteront au ciel, sur une nuée, pendant qu'un terrible tremblement de terre jettera partout l'épouvante (Ibid., 11, 12, 13.).

Pour relever sa puissance, l'Antechrist, singeant la triomphale ascension du Fils de DIEU et des deux grands Prophètes, tentera, lui aussi, de monter au ciel, en présence de l'élite de ses adeptes. Et c'est alors que Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST, "semblable à la foudre qui de l'orient à l'occident déchire le ciel, apparaîtra tout à coup sur les nuées, dans toute la majesté de sa puissance (Ev. Matth., XXIV, 27, 30.)", frappant de son souffle et l'Antechrist (II ad Thess., II, 8.) et Satan et les pécheurs. Tout ceci est prédit en termes formels (I ad Thess., IV, 15.). Comme nous l'avons dit, l'Archange Michel, le Prince de la milice céleste, fera retentir toute la terre du cri de triomphe qui ressuscitera tous les élus (Ev. Matth., XXIV. 31.). Ce sera le Consummatum est de l'Église militante, entrant pour toujours dans la joie du Seigneur.

Cette "voix de l'Archange" sera accompagnée d'une combustion universelle, qui purifiera et renouvellera toutes les créatures profanées par Satan, par le monde et par les pécheurs. La foi nous apprend, en effet, qu'au dernier jour, JÉSUS-CHRIST doit venir juger le monde par le feu (Rit.Rom.). Ce feu vengeur et sanctificateur renouvellera la face de la terre et fera "une nouvelle terre et des nouveaux cieux (Psal., CIII, 30.), (Apoc. XXI, 1.)". Comme au Sinaï, comme au Cénacle, l'Esprit-Saint se manifestera ainsi par le feu, en ce jour redoutable entre tous.

Telle sera la fin terrible et glorieuse de l'Église militante; telle sera, autant du moins que la lumière toujours un peu voilée des prophéties nous permet de l'entrevoir, telle sera la Passion de l'Église; telle sera sa résurrection suivie de son triomphe. Corps mystique du Fils de DIEU, elle aura suivi son divin Chef jusqu'au Calvaire, jusqu'au sépulcre, et par cette fidélité elle aura mérité de partager sa gloire à tout jamais. »

Le tutoiement est révolutionnaire!

On lit dans les procès-verbaux de la Convention :

Séance du 10 brumaire an II.

Le citoyen Nalbec demande que tous les citoyens soient tenus, sous peine d'être réputés suspects et traités comme tels, de renoncer dans les conversations et rapports de tout genre entre eux à la formule mensongère, avilissante pour celui qui l'emploie, et flatteuse pour celui auquel elle s'adresse, de vous, qui désigne plusieurs personnes alors qu'il ne s'agit que d'un seul, et qu'il dit être une faute de langage, en même temps que c'est une contravention formelle au principe de l'égalité en politique.

Cette pétition est convertie en motion par un membre; il s'engage à ce sujet une légère discussion, qui se termine par un décret portant que la pétition du citoyen Nalbec sera insérée au Bulletin, avec une invitation a tous les citoyens à n'user dans leur langage que d'expressions propres à pénétrer tous les esprits du principe immuable de l'égalité (Procès-verbal de la Convention, tome XXIV, p. 226).


Convention nationale, séance du 10 brumaire

Une députation des Sociétés populaires de la ville de Paris demande que tous les individus qui ont quittés les villes où ils étaient domiciliés pour aller habiter leurs châteaux, soient tenus, ainsi que ceux qui sont inutile à la culture de la terre, de rentrer dans les villes, sous peine d'être regardés comme suspects et traités comme tels.

Un membre de la députation, prenant ensuite la parole, Citoyens représentants, les principes de notre langue doivent nous être aussi chers que les lois de notre République.

Nous distinguons trois personnes pour le singulier, et trois pour le pluriel; et, au mépris de cete règle, l'esprit de fanatisme, d'orgueil et de féodalité nous a fait contracter l'habitude de nous servir de la seconde personne du pluriel lorsque nous parlons à un seul. Beaucoup de maux résultent encore de cet abus; il oppose une barrière à l'inlelligence des sans-culottes; il entretient la morgue des pervers et l'adulation, sous le prétexte du respect, éloigne les principes des vertus fraternelles. Ces observations communiquées à toutes les sociétés populaires, elles ont arrêté, à l'unanimité, que pétition vous serait faite de nous donner une loi portant réforme de ces vices. Le bien qui doit résulter de notre soumission à ces principes sera une preuve première de notre égalité, puisqu'un homme quelconque ne pourra plus croire se distinguer en tutoyant un sans-culotte, lorsque celui-ci le tutoiera, et de là moins d'orgueil, moins de distinction, moins d'inimitiés, plus de familiarité apparente, plus de penchant à la fraternité, conséquemment plus d'égalité.

Je demande, au nom de tous mes commettants, un décret portant que tous les républicains français seront tenus à l'avenir, pour se conformer aux principes de leur langage en ce qui concerne la distinction du singulier au pluriel, de tutoyer sans distinction ceux ou celles à qui ils parleront en seul, à peine d'être déclarés suspects, comme adulateurs, et se prêtant par ce moyen au soutien de la morgue qui sert de prétexte à l'inégalité entre nous.



Philippeaux. — Je demande la mention honorable de cette adresse et l'insertion au Bulletin. L'approbation solennelle que lui donnera l'assemblée sera une invitation qui équivaudra à un décret, et tous les citoyens s'empresseront d'adopter ce langage fraternel.

Basire. — Une invitation ne suffit pas; il faut un décret, qui imprimera aux citoyens un caractère analogue à notre régime républicain, et duquel il résultera de grands avantages.

Charlier. — Je voudrais, si cela pouvait faire l'objet d'un décret, que par le mot vous on désignât un aristocrate, comme on le fait par le mot monsieur.

La proposition de Philippeaux est décrétée





Quant à la proposition faite par Basire à la séance du 21 brumaire, proposition que ne mentionne pas le procès verbal de cette séance, voici comment le Moniteur rend compte de l'incident :

Convention nationale, séance du 21 brumaire.

Basire. — La Convention a reçu des adresses par lesquelles on lui demandait d'ordonner le tutoiement. La Convention n'a pas cru devoir en faire une loi. Cependant il est certain que bien des enfants n'osent pas tutoyer leurs pères et mères; il est certain que les domestiques craignent de tutoyer ceux qu'ils servent; il est certain que dans les lieux publics cet usage coûte à beaucoup de personnes, et peut même entraîner quelques inconvénients, exciter des querelles. Il faut pourtant, après la fête de la Raison, que tous les citoyens se désaccoutument de ce vous ridicule et servile. Je demande que la Convention, au lieu d'une invitation, fasse une loi formelle.

Thuriot. — Je m'oppose à cette mesure. Si tout le monde était à la hauteur des révolutions, on pourrait adopter la proposition de Basire. Mais je crois que dans ce moment, loin d'éviter les inconvénients dont il parle, on donnerait lieu aux persécutions. L'amitié s'est toujours tutoyée. Ce langage fraternel a dû être adopté sans peine par les amis de l'égalité. Mais il est des hommes qui s'étonnent de toute innovation contraire à leurs vieilles et petites idées, laissons donc mûrir celle-ci, imprimons-la dans l'opinion publique; quand la raison aura fait assez de progrès, alors rendons ce décret. On sait bien que le vous est absurde, que c'est une faille contre la langue de parler à une personne comme on parlerait à deux, à plusieurs; mais aussi n'est-il pas contraire à la liberté de prescrire aux citoyens la manière dont ils doivent s'exprimer ? Ce n'est pas un crime de parler mal le français. Je demande qu'en rendant hommage aux principes, en reconnaissant la faculté qu'ont tous les citoyens de se tutoyer, la Convention passe néanmoins à l'ordre du jour.









Le ministre de la guerre à ses frères d'armes.

Paris, le 17 brumaire, an 2 de la république une et indivisible.


Je vous envoie la pétition présentée à la convention nationale, et insérée par son ordre dans le bulletin, pour en propager la connoissance; vous y verrez que, pour rendre le langage plus énergique et plus conforme à la raison, les pétitionnaires proposent de supprimer le vous quand on parle à un seul, et d'y substituer le tu. Cette manière de parler sera facilement adoptée par les sans culottes, parce qu'elle leur est familière : elle est aussi convenable aux principes de l'égalité. Ainsi, frères et amis, je vous invite à vous servir de tu lorsque vous parlerez à un seul, quel que soit !e pouvoir dont il seroit revêtu; il ne pourroit s'en formaliser sans avouer qu'il n'est pas sans-culotte.

J'invite les amis de l'égalité à placarder ma lettre. Salut et fraternité,

BOUCHOTTE

L'orgueil, commencement de tout péché.

Ce texte de l'Écriture signifie d'abord que la première faute commise après la création fut un acte d'orgueil : encore aujourd'hui nous entendons l'écho d'une parole sacrilège, non serviam, « je ne servirai pas », proférée par le plus intelligent des esprits créés, Lucifer.

Ce texte indique ensuite que le premier péché fait sur la terre par le premier homme fut un péché d'orgueil ; Adam voulut connaître le bien et le mal pour pouvoir se conduire seul.

Enfin, ce texte justifie saint Thomas d'affirmer que l'orgueil est non seulement un péché capital, mais la source des péchés capitaux, de la vaine gloire en particulier. Car tout péché renferme une désobéissance et toute désobéissance provient de l'orgueil.


L'Écriture met donc ici en relief l'importance de ce point que la spiritualité regarde comme un formidable obstacle à la perfection. Et cette importance s'accroît de plus du fait qu'en pratique beaucoup se trompent sur la vraie nature de l'orgueil, croyant qu'il n'existe pas quand il se revêt du manteau de la fausse humilité, alors qu'il devient plus dangereux que celui qui s'étale jusqu'au ridicule ; ou jugeant qu'il domine dans telle âme qui s'exerce plutôt à la magnanimité et au courage nécessaires en toute grande entreprise qu'à la pusillanimité qui écarte les tâches d'envergure.

Être timide et humble, orgueilleux et grand, c'est tout à fait différent.


Nous allons étudier ce gros sujet en répondant à trois intéressantes questions : Quelles sont les formes, les effets et les remèdes de l'orgueil ? Procédons sous le regard de la très humble Sainte Vierge.

Puisque l'orgueil est un désordre dans l'amour de soi, ses formes se réduisent aux multiples dérèglements qu'il engendre.

Nous n'ignorons pas ce que signifie un désordre. C'est quelque chose de contraire à la raison et à Dieu. Pour cette cause, et de bien des manières, l'orgueil en est un.

Mais comment cela ?
Estimer ce qu'il y a de bon en nous, n'est-ce pas un moyen d'honorer Dieu et de nous respecter nous-mêmes ? Rechercher l'estime d'autrui en; faisant connaître nos qualités tout comme nous devons reconnaître et apprécier les qualités du prochain, n'est-ce pas nécessaire à la gloire de Dieu et aux bonnes relations ?
Oui, pourvu que nous évitions toute déviation et tout excès.

Nous oublions parfois que Dieu est l'auteur de ces dons, nous nous les attribuons à nous-mêmes ; nous agissons pour nous, nous nous en rapportons l'honneur, nous acceptons pour nous ou convoitons pour nous l'estime des autres.

Il y a déviation, puisqu'en définitive nous nions que Dieu soit, d'une part, notre premier principe et, d'autre part, notre dernière fin. Puis, il y a excès quand nous voulons paraître supérieurs à ce que nous sommes en réalité, quand nous faisons le bien avec ostentation pour en imposer et nous croire exemptés de la voie commune, quand nous nous préférons injustement aux autres voyant à la loupe la paille dans l'œil du voisin et non la poutre dans le nôtre, quand nous traitons nos supérieurs avec un esprit critique et frondeur qui fait que nous épions leurs moindres gestes ou démarches pour les contrôler, les juger et les blâmer, nous rendant ainsi très difficiles leur autorité et leurs ordres, l'obéissance et les permissions, aspirant à une indépendance néfaste à la vertu.

Rien, en effet, ne nuit davantage à la sanctification que ce désordre. Car il est bel et bien un aveuglement, un voile, un bandeau sur les yeux, une ignorance de Dieu, de notre prochain et de nous-mêmes, comme un refus de la vérité transmise par Celui qui s'est dit la Lumière et par ceux qui le représentent.

Selon Monsieur Tronson, c'est même une maladie qui conduit à la folie, n'y ayant pas de plus grands fous que les orgueilleux qui se repaissent de vent et de fumée, qui perdent une gloire éternelle pour celle d'un moment et qui, pour éviter quelques humiliations passagères, s'en attirent qui ne finiront jamais.

Il s'agit évidemment de la folie de Lucifer qui résiste de front à Dieu ou à ses représentants légitimes en matière grave, qui fait faire ou dire des extravagances contre la justice ou la charité, au sujet de dettes ou de réputation.

Pour caractériser cette forme générale de l'orgueil que nous appelons un désordre, disons que c'est la rupture du ressort qui soulève toute la vie vers Dieu.

Saint Augustin rend cette pensée comme suit : « L'homme, dit-il, en tombant d'en haut et en d’échéant de Dieu, tombe premièrement sur lui-même. » Semblable à une eau qui d'une haute montagne coule jusqu'au plus profond des abîmes, l'âme tombe de Dieu sur elle-même, se précipitant à ce qu'il y a de plus bas.

Quant aux formes particulières de l'orgueil, elles se déterminent par rapport à soi, par rapport aux autres et selon les degrés.

En nous l'orgueil flatte, exalte ou imagine des biens extérieurs ou intérieurs, la naissance et la richesse, la santé et la beauté, la science et le talent, le jugement et la piété.

Nous sommes exposés à nous complaire dans l'honneur et la bonne réputation de notre famille ou à nous attrister excessivement du contraire. Sommes-nous favorisés de quelque fortune, nous nous en glorifions ne croyant la devoir qu'à nous-mêmes.

Si nous jouissons d'une bonne santé, nous tenons à dire que cela dépend sans aucun doute de notre prudence et que partant, les malades, s'ils souffrent, c'est de leur faute.

La beauté, parce que nous l'estimons bien, nous fait croire à tort qu'elle a élu domicile chez nous et elle exige des petits soins qui ne cadrent pas toujours avec le sérieux.

L'intelligence peut s'attribuer une science, une vertu, une finesse de jugement qui lui permettent de ne pas marcher à une autre étoile qu'à la sienne propre, de ne pas examiner longuement une opinion contraire jugée d'avance inacceptable, mal fondée.

La ferveur même, chez quelques-uns, au dire de saint Jean de la Croix, peut nourrir une certaine vanité qui se manifeste en conversation par la tendance à agiter des questions de spiritualité et à y mêler des leçons ou des blâmes « pour ceux qui ne comprennent pas la dévotion à leur manière », puis à y ajouter des démonstrations extérieures et des attitudes étranges.

Selon le même docteur, cette vanité pousse à rechercher les bonnes grâces du confesseur, à le condamner dès qu'il n'approuve pas les agissements et à s'affliger outre mesure des fautes que présomptueusement on croyait impossibles, puis des sécheresses inévitables de la piété.

On appelle tout cela être plein de soi-même. Or c'est porter sur ses yeux un bandeau, c'est ne voir la lumière que péniblement et nuire à son entrée dans l'âme où elle devrait régner pour en assurer le progrès.

A l'égard des autres, l'orgueil nourrit du dédain sinon un peu de mépris. S'il rencontre des obstacles, il éclate en jalousie, en haine, en médisance, en calomnie, en jugement téméraire.

Il lui faut dominer ; lui résiste-t-on, il écrase, il salit, il piétine. Auparavant, il aura tout fait pour capter l'opinion, l'attention, l'estime et la louange, il aura pris tous les moyens pour écarter l'ennui de passer inaperçu et l'horreur d'être méprisé. Le devoir aura parfois été sacrifié au respect humain ou à d'autres bassesses.

Que voulez-vous ? L'orgueilleux se nourrit de compliments qu'il rapporte quelquefois à Dieu du bout des lèvres. Il se soucie bien plus de sa gloire et de ses intérêts que de la gloire et des intérêts de Dieu, encore moins du bien et du bonheur de son prochain.

Bref, il se constitue pratiquement le centre autour duquel tous les autres doivent, dans son imagination, organiser leur vie, ne devant avoir de culte que pour sa propre excellence.

Qui ne reconnaît la profondeur de ce désordre où l'humain veut égaler le divin ?

Saint Thomas, transcrivant avec docilité saint Bernard, en fixe les degrés au nombre de douze. Je les énumère du premier au dernier. A chacun il apparaît que l'orgueil a fait un pas.

L'orgueil commence par la curiosité qui veut voir partout et tout surveiller. Puis c'est la légèreté d'esprit qui se répand en paroles inutiles, inopportunes et audacieuses. Succède la joie sotte et déplacée. Survient la jactance ou la hardiesse à se vanter, à prôner sa manière d'agir comme étant la meilleure.

De là à la singularité il n'y a qu'un pas, c'est le cinquième ; on sait que ce mal manifeste un penchant à agir d'une façon contraire aux habitudes de la vie commune. Cette attitude mène à l'arrogance dans le soutien des points de vue ou idées propres.

On imagine que la présomption qui se croit capable de tout ne manque point. A l'occasion des fautes, l'empressement à s'excuser ne se laisse pas attendre.

Cela mène à la dissimulation de ses chutes en confession, conduit à la révolte, et crée un besoin de liberté effrénée. Alors l'âme aboutit au mépris de Dieu, au péché habituel.

Voilà les multiples formes de ce désordre qu'est l'orgueil, de ce péché de l'esprit, en soi moins honteux, moins avilissant, mais plus grave, écrit saint Thomas, que les péchés de la chair, parce qu'il nous détourne davantage de Dieu et nous fait ressembler au démon.

Bossuet ajoute : « C'est ce vice qui s'est coulé dans le fond de nos entrailles à la parole du serpent qui nous disait en la personne d'Eve : Vous serez comme des dieux. Et nous avons avalé ce poison mortel [...]. Il a pénétré jusqu'à la moelle de nos os, et toute notre âme en a été infectée. »

La profondeur de ce mal paraît encore dans ses effets et dans ses remèdes eux-mêmes qui doivent être d'une force particulière.

Source de tout péché, l'orgueil se cache donc au fond de tous les crimes, de toutes les guerres, de toutes les divisions, de toutes les haines et antipathies, de toutes les fautes.

Hâtons-nous de le redire ici : Il n'y a pas de plus grands obstacle à la perfection. Il n'est pas du tout de mise de se consoler du fait qu'on évite la gravité d'advertance et donc le péché mortel. Car du même coup on se rend coupable dans la cause des conséquences de l'orgueil en toute la vie, à commencer par la plus désolante stérilité. On oublie trop que nos responsabilités s'étendent très loin par delà nos actes présents. On n'est pas excusable.

La perfection chrétienne se compose de beaucoup de grâces dues à la libéralité du bon Dieu. Or l'orgueil résiste à Dieu en lui-même ou en ses représentants, et Dieu résiste à l'orgueil. C'est tout à l'opposé des docilités intimes de la grâce que goûtent seuls les humbles. Donc perfection et orgueil se repoussent. De plus, le progrès spirituel entraîne une accumulation de mérites.

Or tandis que le mérite prend sa source dans la pureté des intentions, l'orgueil, qui en fait davantage parfois, agit avec ostentation à la manière des Pharisiens, pour être vu, pour se plaire à soi-même ou à d'autres.

L'orgueil touche sa récompense sur la terre ; le mérite, récompense céleste, ne lui est pas accordé : il va à l'humilité.

Pour avancer, toute âme doit prier, non superficiellement, mais profondément. Cela veut dire avec humilité, car l'orgueil ne connaît pas de prière sincère et confiante. Aussi, tombant sur lui-même il se décourage plus vite qu'il ne monte à Dieu.

Avec le prochain, vous ne le voyez pas céder en bon prince ; au contraire, il est mordant, il discute avec âpreté et violence, il met dans ses mots de l'amertume, de l'injustice, de la cruauté même, à tout prix il veut abattre sinon mettre sous ses pieds.

En dernier ressort, inquiet, troublé, agité, dévoré par le désir de l'emporter, il se crée de toutes pièces du malheur. Ne sachant s'agenouiller devant personne, à la fin il tombe terrassé et avili.

Sur une longue planche de l'existence, l'orgueil traîne donc une médiocrité stérile : encore une fois, pas de grâces, pas de mérites, pas de paix au dehors ni au dedans. Je devrais ajouter : pas de chasteté non plus, pour me conformer à l'expérience des âmes et à l'autorité de saint Thomas qui affirme que « Dieu laisse tomber dans la luxure l'orgueilleux inconscient de son orgueil, pour qu'il en sorte sous le coup de l'humiliation et de la confusion ».

Voici un exemple de cette stérilité dont nous venons de tirer les traits.

A l'aurore de ce siècle, vers 1909, une visitandine de Paris, de belle réputation aux points de vue piété, verra et dévouement, après avoir été guérie par le Sacré-Cœur d'une maladie incurable, aperçut son divin Époux lui ouvrir devant les yeux le Livre de Vie au chapitre des bonnes œuvres.

Les pages se succédaient toutes blanches. De temps à autre, une mention était soulignée : tel jour, bon acte d'humilité ; tel jour, humiliation bien acceptée ; tel autre jour, excellent mépris de soi. C'était tout. Travail, prières et sacrifices brillaient par leur absence. Ils avaient été mis au compte de l'amour-propre, non de la charité divine. Quelle perte ! Quelle déception !

Pourtant, quoi d'étrange ? Dieu stérilise tout quand tout procède des inclinations de la nature ou de la volonté du moi. Sainte Madeleine de Pazzi va plus loin et justement : « Ce défaut, dit-elle, est à l'âme ce qu'est à une plante le ver qui en ronge les racines : non seulement il la prive de ses fruits, mais encore il la tue. » Et saint Ignace de Loyola fait une sombre constatation. Écoutez ses paroles : « De cent personnes d'oraison, il y en a plus de quatre-vingt-dix qui n'en veulent faire qu'à leur tête » Le même saint appréciait une petite immolation de la volonté propre plus que des heures de prières. En se livrant à celles-ci et en évitant celle-là, on peut « courir bien vite, mais hors de la voie », hors du chemin de la perfection. « Pour arrêter l'essor d'une âme vers Dieu, il suffit d'un fil », selon le mot de saint Jean de la Croix. Le fil casse quand la volonté se brise. Or, « volonté brisée, volonté parfaite ».

Pourquoi la volonté propre fait-elle le vide, sous l'angle divin, même dans la piété ? Parce qu'elle coupe les ponts avec Dieu, elle extermine peu à peu, elle étiole ce qu'il y a d'infus et de surnaturel en nous, la grâce sanctifiante et les vertus qui lui font cortège.

Fille de l'orgueil et sa mandatrice, elle exécute ses ordres en troublant le cerveau comme une boisson qui enivre, et, aveuglant le regard, elle ne lui permet plus d'apercevoir la beauté de la vertu ni la laideur du vice.

Elle joue ainsi le rôle du démon et le démon se fie sur elle dans la lutte et les assauts du mal contre l'âme. Notre vie spirituelle n'a pas de pire ennemi.

Toutes nos peines en découlent. Nous voudrions ceci, nous voudrions cela. C'est l'abattement et le dégoût. Du moins, c'est le trouble.

Le trouble parce que nous ne vivons pas avec tel chef, telle personne, dans tel emploi que l'on désire, ou que l'on demande et qui ne vient pas.

Sainte Madeleine de Pazzi a peint en couleurs saisissantes le portrait des ravages de la volonté propre dans une multitude d'âmes. Elle donnait le fruit d'une extase.

L'une de ces âmes paraissait bien recueillie et tout unie à Jésus plein de mansuétude ; or, à certains jours, il ne se passait pas une heure sans qu'une contrariété survenue ne la jetât en un trouble complet.

Une autre assistait au saint sacrifice comme un brasier d'amour divin ; se hasardait-on ensuite à lui signaler un de ses défauts, elle refusait d'y croire, ou, en y croyant, par orgueil froissé elle faisait pleuvoir ses explications et son amertume.

Une autre s'exerçait à des austérités ; dès que l'obéissance voulait y mettre un frein, elle se butait à un entêtement obstiné.

Une autre qui, au réfectoire, se livrait sérieusement à la mortification et s'y délectait, trouvait excessifs les ménagements proposés et injuste la privation des mets désirés.

Telle autre en conversation s'appliquait à montrer une grande sagesse, pesait chacun de ses mots et les passait de manière à faire voir sa perfection.

Une dernière, enfin, se dépensait dans la pratique de la charité envers le prochain, mais elle exigeait des remerciements, de l'attention en retour, et des louanges.

Eh bien Semblables religieuses recherchant l'esprit de Jésus à la manière qui leur plaisait se rendaient inaptes à le recevoir. Leur volonté propre détrônait Jésus.
Or détrôner Jésus, c'est se passer de lui, l'empêcher d'agir, paralyser le surnaturel même au milieu des plus saintes œuvres.

Véritablement, l'orgueil a d'affreuses conséquences.
Par quels remèdes conjurer cette catastrophe ?

A part la prière qui « est utile à tout » et nécessaire, nommons la conscience de notre néant, le souvenir de nos péchés et le renoncement à notre volonté propre.

Que sommes-nous ? Pas grand'chose. Alors, dignes de l'oubli.

Nous avons été faits de rien et nous retournerions à rien sans le Créateur qui nous garde. De plus, nous représentons quelque chose d'éphémère, d'emprunté et de fragile. Nous portons le trésor du divin, mais c'est un don gratuit à faire fructifier, que nous devrons rendre quand la mort nous frappera pour nous jeter aux pieds de notre Juge.

Par nous-mêmes, sans le concours de Dieu, nous ne pouvons rien, ni connaître, ni penser, ni apprendre, ni vouloir, ni aimer, ni agir, ni vivre. Et donc, que valons-nous ? Ce que nous avons coûté, le sang d'un Dieu, la grâce à laquelle nous faisons librement accueil. Oui, mais tout cela, c'est Dieu qui l'opère et qui le communique. A lui honneur et gloire ! A nous honte et pardon d'en avoir mal usé !

Car, en plus de n'être que peu de chose, nous sommes pécheurs et méritons, comme tels, le mépris. Un péché est si grand dans son audace, son outrage, son ingratitude et sa révolte déicide que nous devons être prêts, pour l'expier, à toutes les humiliations possibles, médisances calomnies, injures et injustices, lesquelles d'ailleurs durent peu. Même les péchés véniels, selon le témoignage des saints, ravissent à Dieu une gloire que les abaissements profonds de toute une vie ne parviennent jamais seul à remettre.

Persuadés de ce que nous sommes, « gardons-nous de suivre notre volonté » ; c'est le conseil de l'Esprit-Saint, parce que c'est l'unique manière d'aimer Dieu. Le démon le comprend bien et il déteste l'obéissance ; il inspire aux âmes de vives répugnances à obéir, à faire la volonté d'autrui. Les saints lui résistent.

Le fondateur de la Visitation méditant sur le cachet distinctif à graver dans l'âme de ses religieuses, quelqu'un lui suggéra de les faire aller nu-pieds ; « Je préfère commencer par la tête », répondit le saint. Il écrivit un jour à sainte Chantal : « Je désire que les filles de votre Congrégation aient les pieds bien chaussés, mais le cœur bien déchaussé et bien nu des affections terrestres ; qu'elles aient la tête bien couverte et l'esprit bien découvert, par une parfaite simplicité et dépouillement de la propre volonté. »

L'illustre père spirituel pensait sans doute avec saint Basile que les âmes attachées à elles-mêmes ressemblent à des lépreux capable d'infecter tout leur entourage par leurs mauvais exemples. Tant il est vrai que renoncer à soi, c'est la base essentielle de la vie intérieure.
Ne désirons rien, ne recherchons rien, ne prêterons rien. Aimons notre très doux Jésus, et simplement comme quelqu'un qui s'ignore et estime les autres meilleurs que lui. En cela ne poursuivons que le bon plaisir du Bien-aimé. Ce qui nous plaît, souvent lui déplaît !


Paul-Henri BARABE, o.m.i.
Directeur des retraites fermées, Maison du Sacré-Cœur, Hull. (1943)

Les avantages de la pudeur.

Par St Cyprien de Carthage

1° Exhortation à la pudeur; — 2° Éloge de cette vertu; — 30 L’impureté; — 4° Obligation de pratiquer la chasteté; — 5° Excellence de la virginité; — 6° Exemples; — 7° Nécessité de combattre; — 8° Moyens de conserver la pudeur; — 9° Parure des femmes; — 10° Conseils.

Je crois remplir mon devoir, mes frères, en vous exposant chaque jour les leçons de l’Évangile, pour vous faire avancer dans la science et dans l’esprit de foi. Quoi de plus utile dans l’Église de Dieu, quoi de plus en harmonie avec les fonctions épiscopales, que de rappeler aux fidèles les enseignements divins et de les conduire par là aux royaume des Cieux? Tel est le devoir que je m’efforce de remplir, quoique absent. Par mes, lettres, je me transporte au milieu de vous ; je vous parle, je vous instruis comme à l’ordinaire; je vous exhorte surtout à enraciner profondément la foi dans votre âme, afin de résister aux assauts de l’ennemi. Si je puis obtenir ce résultat, je ne me plaindrai plus de mon absence. Ce n’est pas assez pour nous de vous citer les paroles de l’Écriture, nous joignons à ces enseignements nos voeux et nos prières, afin que le Seigneur (169) vous ouvre le trésor de ses grâces et qu’il vous donne la force d’accomplir ses préceptes. C’est un grand mal de connaître la volonté du Seigneur et de ne pas la mettre en pratique.

1° L’exhortation la plus pressante que je puisse vous adresser, — car, avant toutes choses, je désire votre perfection, —c’est que vous soyez fidèles à pratiquer dans toute sa rigueur la vertu de chasteté. Je sais que vous le faites. Vous n’ignorez pas, en effet, que vous êtes le temple du Seigneur, les membres du Christ, la demeure de l’Esprit-Saint. Dieu vous appelle à l’espérance des biens éternels; il répand la foi dans votre âme; il vous prédestine au salut. Fils de Dieu, frères du Christ, l’Esprit-Saint se plaît à sanctifier vos âmes. Élevez-vous donc au-dessus de la chair, puisque le baptême vous adonné une nouvelle vie; attachez-vous à la chasteté, puisque le Christ lui-même l’a consacrée, et qu’en mourant pour vous, il l’a rendue en quelque sorte incorruptible.

L’apôtre appelle l’Église l’épouse du Christ; or, je vous le demande, quelle doit être la pudeur des membres de l’Église, puisqu’elle conserve sa virginité, même dans son union avec le céleste époux? Si les limites de ce traité ne s’y opposaient, je ferais de cette vertu un long panégyrique; mais à quoi bon, puisque, vous la pratiquez? En vous attachant à elle, vous rehaussez son éclat; en suivant ses maximes, vous faites son éloge; vous contribuez à sa gloire, elle contribue à la vôtre, et vous vous enrichissez mutuellement. Elle vous montre la règle des bonnes moeurs, vous lui offrez en échange vos oeuvres saintes; vous manifestez par votre conduite toute l’étendue de sa puissance, elle manifeste, à son tour, la sainteté de vos désirs. Ainsi la loi divine forme un tout complet : les oeuvres complètent les préceptes, les préceptes inspirent les oeuvres; on dirait les membres d’un même corps.

2° La pudeur est l’honneur des corps, l’ornement des moeurs, la sainteté des sexes, le lien de la continence, la source de la (171) chasteté, la paix des ménages, le principe de la concorde. La pudeur ne cherche à plaire qu’à elle-même. Toujours modeste, elle est la mère de l’innocence. Elle se juge assez belle si elle peut déplaire au vice. Elle ne cherche pas les ornements; c’est en elle qu’elle les trouve. Elle nous rend agréables à Dieu et nous unit intimement au Christ. Elle apaise les combats de la chair et nous donne la paix véritable. Bienheureuse elle-même, elle communique sa félicité à ceux en qui elle réside : ses ennemis la contemplent avec respect, et ils l’admirent d’autant plus qu’ils ne peuvent la vaincre.


3° Telle est la vertu que les hommes et les femmes doivent rechercher avec ardeur. Par suite, ils doivent détester l’impureté, sa mortelle ennemie : l’impureté, qui plonge dans la dégradation et dans la fange ceux qui suivent son impulsion funeste; l’impureté, qui s’attaque à la fois et au corps et à l’âme. Elle fait de l’homme un esclave, en détruisant en lui les bonnes moeurs. D’abord séduisante et, par cela même, plus nuisible, elle porte un coup mortel à la vertu et à la fortune. Que dis-je? Elle va jusqu’à répandre le sang. Elle enflamme toutes les passions; elle pervertit les consciences honnêtes. Mère de l’impénitence, fléau de l’avenir, opprobre des familles, elle brise les liens du sang, substitue aux enfants légitimes ses propres enfants et détourne en leur faveur des héritages qui deviennent ainsi le prix de la corruption. Souvent même, dans ses ardeurs insensées, elle renverse l’ordre de la nature et cherche, non le plaisir véritable, mais des débauches monstrueuses. Revenons à la pudeur.

Le premier degré de cette vertu se trouve chez les vierges, le second chez les personnes qui vivent dans la continence, le troisième chez les personnes mariées. Quels que soient ses degrés elle est toujours glorieuse. Oui, c’est une gloire d’être fidèle dans le mariage, malgré tant de luttes. Vivre dans la continence est chose plus honorable encore, puisqu’on se prive des plaisirs (173) permis. Mais vivre dans la chasteté dès le sein de sa mère, pratiquer cette vertu jusqu’à la vieillesse, c’est le comble de la gloire. On dira peut-être qu’il y a plus de félicité à ignorer les exigences de la chair et plus de mérite à réprimer ses écarts, c’est possible. Mais sachons, avant tout, que cette vertu est un don de Dieu, quoiqu’elle se manifeste dans des membres humains.

4° Le précepte de la pudeur est bien ancien, puisqu’il remonte à la, création de l’homme. Dieu donne un mari à la femme; il donne une femme à l’homme : Ils seront deux en une seule chair, dit le texte sacré (Gen., II). Ainsi se trouve établie cette unité qui exclut toute séparation. De là ces paroles de l’apôtre : L‘homme est la tête de la femme. Peut-on mieux indiquer le précepte de la pudeur? Une tête ne peut convenir qu’à ses propres membres, comme les membres ne peuvent convenir qu’à leur tête ; ils sont unis ensemble par un lien mystérieux qui conserve l’oeuvre divine dans son harmonieuse intégrité. Aussi l’apôtre ajoute : Celui qui aime son épouse s’aime lui-même. Personne ne hait son corps; au contraire, vous le nourrissez, vous le réchauffez; ainsi agit le Christ envers l’Église (Éph., V). Le précepte de la charité marche donc de pair avec celui de la pudeur, puisque les époux doivent aimer leurs épouses comme le Christ aime l’Église, et que les épouses doivent aimer leurs époux comme l’Église aime le Christ.
Le Christ rendit hommage à la pudeur en disant que l’homme ne peut renvoyer son épouse que lorsqu’elle se rend coupable d’adultère. Il était écrit dans l’ancienne loi : Vous mettrez à mort les femmes adultères (Lev., XX). De là cette parole de l’apôtre : La volonté de Dieu est que vous évitiez la fornication (I Thess., IV). Il (175) ajoute qu’on ne doit pas unir les membres du Christ à ceux d’une courtisane (I Joan., VI). Il livre à Satan, sacrifiant ainsi la chair pour sauver l’âme, ceux qui foulent aux pieds la chasteté et se livrent à des vices, impurs (I Corint., V). D’après lui, les adultères sont exclus du royaume céleste (Eph., V). Tous les autres péchés, — c’est toujours l’apôtre qui parle, — se commettent en dehors du corps, l’adultère seul pèche contre son corps (4). Je passe sous silence les autres préceptes parce que vous les connaissez et que vous les mettez. en pratique. J’ose espérer que vous ne vous plaindrez pas de son silence. Il est évident qu’il n’y a pas d’excuse pour l’adultère, puisqu’il pouvait, en prenant une épouse, satisfaire ses légitimes désirs.

5° Les femmes mariées sont soumises à des lois auxquelles elles ne peuvent se soustraire Quant à la virginité, elle se place au-dessus de toutes les lois. Libre des soins du mariage, elle élève son front au-dessus des intérêts et des préoccupations d’ici-ci bas, et participe à l’auréole des anges. Je me trompe, elle leur est supérieure, car elle a remporté sur la nature une victoire que les anges ne connaissent pas.

La virginité est l’avant-goût de la vie éternelle Elle n’a pas de sexe : c’est une enfance qui dure toujours. Maîtresse des passions, elle n’a pas d enfants, elle dédaigne d’en avoir ; mais si elle est privée de la joie de les posséder, elle n éprouve pas la douleur de les perdre. Heureuse d’éviter les angoisses de l’enfantement, plus heureuse d’éviter celle des funérailles. La virginité, c’est la liberté sans limites : pas de mari pour maître, pas de soins qui se disputent l’existence. Affranchie des liens du mariage, des convenances du monde, des soins des enfants, elle peut affronter sans crainte la persécution. (177)

6° Passons maintenant aux exemples : ils seront une prédication plus éloquente encore; car on cesse de douter de la vertu quand on la voit à l’oeuvre. Vous rappelez-vous l’histoire de Joseph (Gen., XXXIII)? Cet enfant, né d’un père illustre, plus illustre lui-même par l’innocence de ses moeurs, est vendu à des marchands ismaélites. Un riche Égyptien le reçoit dans sa maison. Son obéissances sa douceur, son dévouement lui eurent bientôt acquis la faveur de son maître. L’épouse de Putiphar s’attacha également à lui, mais pour d’autres motifs. Un jour, elle cherche à corrompre son innocence. Elle emploie tour à tour les prières et les menaces; Joseph s’enfuit et laisse son vêtement entre les mains de cette femme criminelle. Furieuse de voir dédaignée, elle a recours à la calomnie et Joseph est jeté dans les fers. Mais il n’était pas seul; Dieu veillait sur son innocence et il se préparait à le couronner. Retiré de sa prison, Joseph est placé, non plus comme esclave dans une maison où il avait couru tant de dangers, mais dans le palais du roi dont il devient premier ministre.

Les femmes peuvent méditer à leur tour l’exemple de Suzanne. Elle était fille d’Hélcias, épouse de Joachim; elle était bien belle, mais sa pureté la rendait plus belle encore. Elle n’employait, pour embellir ou plutôt pour dégrader son visage, aucun ornement étranger; dans sa simplicité elle ne connaissait d’autres charmes que la nature et la pudeur. Deux vieillards, oubliant et la crainte de Dieu et leurs cheveux blancs, s’éprirent pour elle d’un amour criminel et osèrent le lui manifester. Suzanne résiste. Alors, ils ont recours à la calomnie et l’accusent d’adultère. Que fera la sainte épouse de Joachim? Elle a recours à Dieu; elle lui confie sa pureté. Sa prière fut exaucée, et pendant que les deux vieillards subissaient le dernier-supplice, l’innocence de Suzanne était hautement reconnue. Ainsi, (179) deux fois victorieuse, elle échappe à la corruption et à la mort (Dan., XIII).

Je pourrais citer d’autres exemples ; ces deux suffisent. Suzanne et Joseph ne se laissent pas aveugler par leur noblesse qui trop souvent est un prétexte à la licence. Ils se dérobent aux attraits de la volupté; ils étouffent dans leurs coeurs les feux de la concupiscence; ils ne songent ni à la solitude, ni aux ténèbres, ni à l’impunité qui doivent envelopper leur crime. Ils résistent à la puissance qui renverse souvent les résolutions les plus fermes; ils sont insensibles aux récompenses, aux promesses, aux accusations, aux menaces, aux châtiments, à la mort même; pour eux, le seul malheur irréparable c’est de tomber des hauts sommets de la chasteté. Aussi Dieu se plut à les récompenser: l’un eut sa place près du trône des Pharaons, et l’autre, rentrée en grâce avec son époux, vit ses ennemis punis du dernier supplice. Tels sont les exemples que nous devons méditer jour et nuit.


7° Le plus grand bonheur pour l’âme fidèle, c’est le sentiment secret de la pudeur conservée. La plus grande volupté c’est de vaincre la volupté. Est-il une victoire plus glorieuse que celle qu’on remporte sur ses passions ? Vaincre un ennemi, c est montrer sa force, mais sur autrui, vaincre ses passions, c’est se montrer plus fort que soi-même. En renversant un ennemi, vous agissez au dehors, en réprimant vos passions, vous triomphez de votre coeur. Rien de plus difficile à vaincre que la volupté. Les autres maux ont en eux quelque chose qui repousse: la volupté flatte; quand elle prête ses armes à l’ennemi, la victoire est bien douteuse. Triomphez de vos passions et vous triompherez de toutes vos craintes, car ce sont les passions qui les produisent. Triomphez des passions et vous triompherez du péché. Triomphez des (181) passions et vous foulerez aux pieds l’ennemi du genre humain. Triomphez des passions et vous vous assurerez une paix éternelle et, ce qui est difficile même aux grandes âmes, la vraie liberté.

8° Vous le voyez, mes frères, la pudeur doit être le sujet continuel de nos méditations. Cette pratique nous deviendra naturelle et facile. Comme toutes les grandes vertus, qui s’éloignent si on ne les retient, elle est au dedans de nous. N’allons pas la chercher au loin, il nous suffit de la développer. La pudeur, en effet, n’est rien autre chose que cette honnêteté de l’âme qui veille à la garde du corps afin que les sens, contenus dans les limites de l’honneur, conservent à la race humaine toute sa pureté.

Si vous me demandez les moyens de conserver cette vertu, je vous indiquerai d’abord la réserve, la méditation des préceptes divins, l’esprit de foi, le respect de la religion. Je vous recommanderai ensuite d’éloigner de vos regards certains objets, surtout les sculptures immodestes; proscrivez aussi tous ces vains artifices qui n’ont d’autre effet que d’irriter les passions et de susciter en nous de nouveaux combats. Elle a perdu toute pudeur la femme qui cherche à produire sur ses semblables des impressions funestes, même en conservant la chasteté du corps. Loin de nous celles qui ne rehaussent leurs charmes que pour les livrer en pâture à des désirs impurs. Prendre trop de soin de sa beauté est une preuve certaine d’un esprit corrompu. Conservez A votre corps toute sa liberté et ne cherchez pas à faire violence à l’oeuvre de Dieu. La femme qui ne peut se contenter des dons de la nature sera toujours malheureuse. Pourquoi changer la couleur de vos cheveux? Pourquoi ce fard qui s’étend à l’extrémité de vos yeux? Pourquoi tous ces artifices pour donner à votre visage un autre caractère?. Pourquoi enfin consulter un miroir si vous désirez être vous-même? (183)

9° La femme doit être chaste jusque dans sa parure; elle doit bannir de ses vêtements tout ce qui sent le mensonge ou plutôt l’adultère. N’est-ce pas corrompre les étoffes que d’y mêler des fils d’or ? A quoi sert un métal si rude au milieu des tissus délicats? N’est-ce pas pour servir d’ornement à des épaules immodestes et pour manifester au dehors la luxure qui dévore les âmes? Pourquoi ces pierres qui chargent votre cou et l’entourent comme un voile? Sans tenir compte du travail de l’artiste, la fortune d’un citoyen suffirait à peine à les acheter. Ce n’est pas là un ornement pour une femme ces objets ne servent qu’à faire ressortir ses défauts. Et ces anneaux énormes dont vous chargez vos doigts vous servent-ils à quelque chose, ou les portez-vous pour faire étalage de votre fortune? Chose étrange! Les femmes, si délicates pour tout, sont plus fortes que les hommes quand il faut se charger des insignes du vice.

Pour revenir à mon sujet, cultivez la pudeur, mes frères bien-aimés, et renfermez vos désirs dans de justes limites. Le corps est pour nous un ennemi dangereux et la chair est toujours prête à tomber. La nature, qui cherche à réparer les ruines du genre humain, réveille l’affection dans vos âmes; mais la volupté se réveille à son tour et vous entraîne au crime.

Nous devons donc lutter de toutes nos forces contre les sollicitations de la chair, dont le démon se fait de terribles auxiliaires. Dociles au précepte de l’apôtre, imitons les oeuvres du Christ et sachons nous soustraire à la tyrannie des sens. Que la volonté les domine. Châtions les penchants mauvais, si nous voulons les réduire. La honte du péché a en elle quelque chose de bas et de difforme; la pénitence elle-même, avec ses larmes, est la reconnaissance de crimes déjà commis. Conservez précieusement votre innocence. Ne fixez pas des regards curieux sur des visages étrangers. Que vos conversations soient courtes, (185) votre rire modéré; agir autrement serait la marque d’un caractère facile et relâché. Évitez même les contacts honnêtes. Pour triompher d’une chair vicieuse, il faut tout lui refuser. Quel honneur de vaincre le vice! Quelle honte d’être sous sa domination! Ajouterons-nous que l’adultère est beaucoup moins un plaisir qu’une honte? Quel charme peut-il y avoir dans un crime qui tue à la fois et l’âme et la pudeur?

Que l’esprit émousse l’aiguillon de la chair, qu’il en réprime les mouvements. A lui de soumettre les membres à son empire; il en a reçu le droit. Conducteur habile, qu’il prenne en main les rênes de l’Évangile pour contenir dans de justes limites les passions emportées, de peur que le corps, semblable à un char dévoyé, ne l’entraîne avec lui dans l’abîme.

Mais, avant toutes choses, demandons à Dieu les grâces nécessaires. Celui qui a fait l’homme peut seul le secourir d’une manière efficace. — Je m’arrête, car je n’ai pas l’intention d’écrire un volume, mais une simple allocution. Lisez l’Écriture et complétez vous-même ce sujet. Adieu.

La plupart des prêtres vont en Enfer.

A la suite de Jésus (Lc 13.22+ ; Mt 7.13-14) et de tant de Pères et Docteurs de l’Eglise qui prêchaient que seul un petit nombre d’âmes seraient sauvées (Cf. Judas est en Enfer, Guy Pagès, FX de Guibert, Paris, 2007), le Supérieur général de la Compagnie des prêtres de St Sulpice, Louis Tronson, enseignait que la plupart des prêtres vont en Enfer (Entretiens et méditations ecclésiastiques, éd. Rusand, Paris, 1826. Cf. www.JesusMarie.com). Et de cela, il donnait les quatre raisons, que voici :

Parmi ceux qui sont prêtres, tous n’ont pas la vocation. Beaucoup deviennent prêtre pour des raisons indignes de la gloire de Dieu, du salut des âmes et de leur propre sanctification. Ils deviennent prêtre parce qu’ils pensent ainsi s’assurer d’un revenu jusqu’à la fin de leur vie (ça, je ne pense plus que cela soit le cas maintenant en France) ; parce que le travail n’est pas trop fatiguant (ça non plus) ; parce que Maman le veut ; parce que cela fait bien (et ça non plus!) ; etc.

Parmi ceux qui ont vraiment la vocation, un certain nombre ne persévèrent pas. Ainsi, en France, aujourd’hui, beaucoup de jeunes prêtres après un, deux, trois ans de ministère, quittent le sacerdoce… emportés par l’amour du monde, qui est incompatible avec l’amour de Dieu (2 Tm 4.10 ; Jc 4.4).

Parmi ceux qui ont vraiment reçu la vocation au sacerdoce, et qui persévèrent, beaucoup ne remplissent pas les obligations de leur charge, notamment en n’avertissant pas les âmes qui leur sont confiées de leurs défauts et péchés, et du danger où elles sont ainsi de se damner (Ez 33.6)… Ils craignent de perdre l’estime des hommes plutôt que celle de Dieu, et perdent de ce fait la foi elle-même «Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et n’avez nul souci de la gloire qui vient du Dieu unique ?!» (Jn 5.44). Comme le disait St Paul : «Je ne serais plus le serviteur du Christ si je cherchais encore à plaire aux hommes.» (Ga 1.10 ; Jc 2.1).

Enfin, dernière raison : lorsqu’un prêtre tombe dans un péché, il y a peu de chance qu’il s’en relève (He 6.4+). Pourquoi ? Parce que comme l’Ange, comme Lucifer le plus élevé d’entre eux, l’état du prêtre, sa proximité avec le Cœur de Jésus, les grâces insignes qu’il en a reçues, font que lorsqu’il choisit de pécher, son mépris de Dieu est quasi parfait… C’est en raison de cette lucidité que sa volonté est coupable d’un péché quasi impardonnable. Non, certes, que Dieu ne puisse pas pardonner ! mais parce qu’il n’y a plus guère de nouvelle considération qui puisse l’amener à aimer à nouveau le Seigneur comme il le doit… Comme le dit l’épître aux Hébreux : «Il est impossible en effet, pour ceux qui une fois ont été illuminés, qui ont goûté au don céleste, qui sont devenus participants de l’Esprit-Saint, qui ont goûté la belle Parole de Dieu et les forces du monde à venir, et qui néanmoins sont tombés, de les rénover une seconde fois en les amenant à la pénitence, alors qu’ils crucifient pour leur compte le Fils de Dieu et Le bafouent publiquement.» (He 6.4-6). (...)


Abbé Pagès.