mardi 2 mars 2010

Le Roi Soleil.

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Dans cette Cour, et par elle, Louis XIV eut le culte de sa personne porté à l’adoration journalière, de son lever à son coucher (id. p. 723). Même à la chapelle, cette adoration continuait. La Bruyère a écrit : Les grands forment un vaste cercle au pied de l’autel et paraissent debout, le dos directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers le roi (…) paraissant l’adorer (id. p. 725).

C’est dans cette Cour que Louis XIV a entretenu une foule de jeunes libertins horriblement débauchés et adonnés à tous les vices. Madame de Maintenon a dit : Ils ne font que boire, se vautrer dans la débauche et tenir des propos obscènes. (id. p. 727) Les courtisans se ruinaient par le luxe, le jeu ou par le service du roi (id. p. 727). On y jouait au lansquenet et à toutes sortes de jeux. Saint-Simon a raconté que dans une nuit le roi perdit des millions et qu’il demanda au réveil s’il était encore roi.

Cette nouvelle Babylone mère de la prostitution et de toutes les vilenies de la terre (Apoc. XVII, 5) ne sentait pas bon (id. p. 730). L’air y était troublé par les exhalaisons de plusieurs centaines de chai-ses d’affaires (toilettes, lieux d’aisance) ou par le relent d’ordures déposées dans des recoins. (id. p. 729) Détails qui prouvent jusqu’où la dégradation de l’être humain fut poussée à Versailles : La chaise d’affaires était un lieu honorable… Être admis auprès du roi séant en sa chaise était un privilège conféré par brevet, le brevet d’affaires.(id. p. 729).

"Le roi ne ménagea pas non plus la dépense en vies humaines. La fièvre sortie des terres re-muées pour élargir par des terrassements l’étroite butte primitive, pour creuser le canal et l’étang des Suisses, pour amener la rivière d’Eure aux fontaines, tua des hommes par milliers. Saint-Simon rapporte que, dans le camp où logeaient les travailleurs de l’aqueduc de Maintenon, il fut défendu, sous les plus grandes peines, d’y parler des malades, surtout des morts que le rude tra-vail et plus encore l’exhalaison de tant de terres remuées tuaient".
"À Versailles, en 1678, une sorte de peste sévissait : Le roi veut aller samedi à Versailles, écrit Madame de Sévigné : mais il semble que Dieu ne le veuille pas, par l’impossibilité que les bâti-ments soient en état de le recevoir, et par la mortalité prodigieuse des ouvriers, dont on remporte toutes les nuits, comme de l’Hôtel-Dieu, des charrettes pleines de morts; on cache cette triste mar-che pour ne pas effrayer les ateliers et pour ne pas décrier l’air de ce favori sans mérite".

En 1687, deux commissaires, Henri d’Aguesseau et Antoine Lefèvre d’Omersson, furent chargés d’une enquête dans deux pays qui n’étaient pas les plus malheureux, le Maine et l’Orléanais.

Ils y ont trouvé, disent-ils, "Un mal général (…) la pauvreté des peuples" et ils le prouvent par des faits : "Nous avons vérifié que tout partout le nombre de familles a diminué considérablement (…) Que sont-elles devenues? La misère les a dissipées : elles sont allées demander l’aumône, et ont péri ensuite dans les hôpitaux ou ailleurs (…) Les maisons qui sont tombées en ruine dans les villages et dans les villes ne se relèvent point (…) il n’y a plus guère de paysans qui aient du bien propre (…) Les paysans vivent de pain fait avec du blé noir ; d’autres, qui n’ont même pas de blé noir, vivent de racines de fougères bouillies avec de la farine d’orge ou d’avoine et du sel (…) On les trouve couchés sur la paille ; point d’habits que ceux qu’ils portent qui sont fort méchants; point de meubles, point de provisions pour la vie; enfin tout y marque la nécessité".

Des étrangers signalent à leurs gouvernements les maux du royaume de France. Tout au long du règne, les ambassadeurs de Venise répètent le même témoignage.
En 1660 : "Si Paris et la Cour offrent une perspective toute d’or et de délices, l’intérieur des pro-vinces est une sentine d’indigence et de misères".

En 1664 : "Les provinces sont ruinées par la pauvreté du menu peuple qui souffre moins du poids excessif des tailles que de l’avidité des partisans".

En 1680 : " À Paris, on ne peut voir l’état nécessiteux du peuple de France ; c’est dans les pro-vinces qu’apparaissent la misère et la détresse des peuples accablés par les charges sans nombre et par les logements de gens de guerre auxquels ils sont obligés de faire face, quoique réduits à la mendicité".

"Il est vrai, ajoute l’ambassadeur, que ce qui nuirait à tout autre prince tourne au profit de l’heureux monarque ; car les hommes contraints par la pauvreté de trouver de quoi subsister, se résolvent à s’enrôler dans les armées royales, et plus le pays est misérable, plus les armées se trouvent de recrues…"

Le philosophe anglais Locke a remarqué, dans un voyage qu’il a fait en France, l’année 1676, que le paysan "est broyé sous le poids des impositions mal réparties (…) la plupart des bourgs, dit-il en-core, se composent de maisons si mal bâties, si délabrées, qu’en Angleterre on ne nommerait pas ces bourgs des hameaux…"

Même Colbert qui pressurait la vieille France pour payer les folles dépenses du roi a fini par écrire : "Ce qu’il y a de plus important et ce sur quoi il y a plus de réflexion à faire, c’est la misère très grande des peuples. Toutes les lettres qui viennent des provinces en parlent". (id. p. 309, 310, 311)
"La misère générale, la mortalité qui sévit surtout en 1693, 1694 et surtout en 1709, et qui dans le Périgord seul fit périr, suivant l’Intendant, le quart des habitants ; puis les grandes disettes, les froids terribles et les maladies contagieuses, mal soignées, la néfaste influence du système de la milice qui ne frappe que les paysans les plus pauvres, bref toutes ces causes diminuèrent la popu-lation du royaume" (id. p. 979).


Maître Dominique GODBOUT, L’ORGUEIL ET LA DECHEANCE DE LA VIEILLE FRANCE ET DE LA NOUVELLE FRANCE, éd. Saint-Rémi. Préface de L-H Remy.