samedi 3 avril 2010

Les petites vertus du foyer.

LA PETITE VERTU DE COURTOISIE

Dans une lettre à Madame de Chantal, saint François de Sales écrivait : Petite courtoisie, basse vertu, mais marque d'une bien grande... Et il faut s'exercer aux petites vertus, sans lesquelles les grandes sont souvent fausser et trompeuses. Il est rare, en effet, qu'on s'extasie devant une personne régulièrement affable et polie. Cependant, cette affabilité et cette politesse supposent une bienveillance et une maîtrise de soi peu communes.
Or il existe un certain nombre de petites vertus qui, pareilles à la courtoisie, ne soulèvent pas une admiration bruyante ; mais lorsqu'elles font défaut, les relations entre hommes sont tendues, pénibles, orageuses même, au point d'aboutir parfois à des désastres. Ces « basses vertus » sont exactement celles qui rendent supportables et agréable notre vie de tous les jours. C'est pourquoi je voudrais consacrer cette série de causeries aux petites vertus des foyers chrétiens.
A première vue, c'est là un propos bien modeste. Pourtant, n'est-il pas logique que ce soit d'abord au foyer que l'enseignement du Christ apporte sa lumière, sa chaleur et ses semences de joie ?
Au vrai, n'est-ce pas avant tout entre les quatre murs de la pièce où vous vous trouvez en ce moment que vous avez à observer la loi de Jésus-Christ ? Sur ce point, il y aurait quelques erreurs à rectifier dans beaucoup d'esprits.

Les uns s'imaginent que le seul objet de la religion est de garantir aux hommes la félicité dans un autre monde. A coup sûr, Jésus-Christ nous a fait cette promesse et c'est pour nous l'obtenir que le Fils de Dieu a pris rang dans la famille humaine, qu'il s'est incarné et qu'il nous a rachetés. Toutefois, ce don prodigieux d'un bonheur éternel, sans communes mesure avec nos ressources et nos ambitions, a pour condition notre foi, notre bonne volonté, nos efforts sincères, toutes choses qu'il nous faut accomplir dès maintenant. En réalité, nous n'avons qu'une vie qui, par delà la mort, n'aura pas de fin. Notre éternité bienheureuse est commencée dès le jour de notre baptême. C'est ici, sur terre, que nous commençons notre ciel, en priant Dieu et en observant ses commandements. La religion n'est pas seulement une affaire qui concerne l'au-delà ; elle a bel et bien sa fonction dans l'en-deçà. Elle doit régler notre vie présente.

Je dis notre vie présente, par conséquent notre vie réelle, notre vie quotidienne. Là-dessus aussi, bien des gens se trompent et parfois de bons chrétiens. Ceux-là opèrent une séparation artificielle entre ce qu'ils appellent la vie profane et les devoirs de la religion, lesquels formeraient une brève parenthèse dans la vie de tout le monde. Mais si, pour la plupart des hommes, le temps réservé à la prière set forcément plus court au regard de leurs autres occupations, n'oublions pas que nous vivons toute la journée sous le regard de Dieu, et que nous lui devons constamment l'hommage de notre obéissance, cet hommage se traduisant par l'offrande explicite de toutes nos activités. A proprement parler, l'expression « vie profane » n'a pas de sens pour un chrétien, car sa vie toute entière est consacrée à Dieu, qu'il doit honorer en toutes ses actions, jusqu'aux plus ordinaires. Que vous mangiez ou que vous buviez, écrit saint Paul, quoi que vous fassiez, faites tout pour la plus grande gloire de Dieu.

Certaines personnes se désolent de n'avoir pas le temps de se rendre fréquemment à l'église : dans la complexité actuelle des travaux domestiques, elles ne trouvent pas le temps d'accorder à Dieu une longue prière. Ne croyez-vous pas que, très courte, votre prière puisse cependant être très fervente ? Et pourquoi chercher Dieu sur une route où il ne vous attend point ? Il vous donne rendez-vous sur le chemin où sa providence vous a placés : c'est là que vous le rencontrerez sûrement, parmi vos obligations journalières. Pensez seulement à le luis offrir en les remplissant de votre mieux. Vos journées s'écoulent soit sur le lieu de votre travail, soit à l'intérieur de votre maison ... C'est là que vous avez à pratiquer les vertus chrétiennes.

Certes vous devez y observer quelquefois des devoirs très graves - il s'agit alors de vous dévouer à un malade ou de faire face à une situation matérielle critique, ou bien de pardonner à des torts qui vous ont fait souffrir, - mais en règle générale, un chrétien en se dérobe pas devant les vertus difficiles et l'occasion ne s'en présente que par intermittence. En revanche, la vie familiale implique quantité de petits devoirs qu'on néglige souvent, ou parce qu'ils sont très nombreux, ou parce qu'ils ne paraissent pas très importants. Ils le sont néanmoins, et c'est le motif pour lequel ils méritent notre attention.
Au surplus, comme le faisait remarquer Saint François de Sales, ces basses vertus réclament une grande vertu, c'est à dire un grand amour, celui qui se manifeste dans les plus petits détails. En vous en proposant la pratique, ce n'est pas une perfection au rabais que je vous prêcherai, mais la divine vertu de charité, dont les petites vertus du foyer sont comme la menue monnaie.

Excusez-moi de m'être attardé à ces réflexions préliminaires : il le fallait pour vous expliquer mes intentions. Aurai-je encore le temps de vous présenter la petite vertu de courtoisie ? Quelques mots y suffiront.
Quel charmant intérieur que celui où tous s'efforcent de se montrer polis et avenants, nos ancêtres disaient courtois !
Être poli, le mot l'indique, suppose que nous adoucissions les aspérités de notre caractère. Un objet qui n'a pas été poli est qualifié de grossier, et cette épithète, lorsqu'on l'applique aux hommes, n'a vraiment rien de flatteur. Mais voilà, la politesse est assez souvent considérée comme un article d'exportation. Courtois et affable pour les gens du dehors, une fois rentré chez soi, on ne se gêne plus. Après tout, ne revient-on pas à la maison pour se détendre ?
Soit, pourvu que le ressort ne blesse personne en se détendant trop brusquement.
Est-il indispensable pour se délasser de grossir démesurément la voix ou de prendre des airs rébarbatif ? Froncer les sourcils ou faire la moue ne sont pas le signe d'une vraie détente au lieu que le sourire, les attentions et les prévenances mutuelles créent au foyer une atmosphère de repos et de paix.
Le courtois n'oblige pas seulement les inférieurs envers les supérieurs. Gardez-vous, disait Notre-Seigneur, de mépriser aucun de ces petits. Jésus veut que nous respections en tout homme sa double dignité d'être raisonnable et d'enfant de Dieu. Tout homme, quelle que soit sa condition, a droit à nos égards. On ne saurait mieux définir la courtoisie.

Votre foyer sera un foyer chrétien si déjà tous y rivalisent d'égards les uns pour les autres. Ayez égard à l'âge des anciens dont les cheveux ont blanchi ; Ayez égard à la faiblesse de ceux que vous devez conseiller ou reprendre ; ayez égard à la fatigue de ceux qui se replient un peu trop sur eux-mêmes. Bannissez de votre vocabulaire et de vos attitudes les rudesses qui n'expriment pas les vrais et profonds sentiments d'affection que vous éprouvez les uns pour les autres. Voulez-vous vous y appliquer cette semaine ? Je vous promets huit jours de bonheur.

LA PETITE VERTU D'EFFACEMENT

Pas de charité sans le respect d'autrui qui se traduit par les égards que nous lui rendons ; mais pour que la courtoisie règne à votre foyer, une seconde vertu y est nécessaire, la petite vertu d'effacement.

Vertu évangélique à n'en pas douter. Voyez la Bienheureuse Vierge Marie. Le début du récit de saint Luc gravite autour d'elle ; c'est elle qui obtient de son Fils le miracle de Cana ; puis elle n'intervient plus qu'une fois durant la mission du Sauveur. Le reste du temps, elle disparaît, laissant la place aux saintes femmes qui prennent soin du Maître et des apôtres. Elle s'efface jusqu'à l'heure tragique de la croix, où elle revient auprès de son Jésus qui va mourir.
Quel autre modèle d'effacement que saint Joseph ! L'évangile signale sa présence chaque fois que l'Enfant et sa Mère ont besoin de ses services. Après quoi, il n'est plus question de lui.
Quant à Jésus, le Fils de Dieu qui s'est abaissé à notre niveau de créature, rappelez-vous comment il se dérobe aux ovations des foules. Il ne veut pas qu'on ébruite les guérisons qu'il opère. Il s'efface devant son Père dont il n'est que l'envoyé. Je suis venu, déclarait-il, non pour être servi, mais pour servir. Aussi peut-il recommander à son disciple de ne pas briguer les situations honorifiques : Toi, lui dit-il, lorsque tu es invité à un festin, va te mettre à la dernière place. Si tu es digne d'un rang plus élevé, on saura bien t'y conduire.

Vous avez entendu le conseil de Notre-Seigneur : « Efface-toi devant les autres. Si tu as le choix, occupe la dernière place. » Ne vous en plaignez pas, vous serez ainsi plus près de lui. Charles de Foucauld, l'ermite du Hoggar dont vous connaissez l'étrange carrière, dut sa conversion à cette simple parole de l'abbé Huvelin : Jésus a tellement pris la dernière place que personne n'a pu la lui ravir.
Mais – il y a toujours un mais – notre amour-propre ne trouve pas son compte dans cet effacement, et il a vite fait de revendiquer ses droits quand il ne les exige point, ce qui se produit souvent. S'effacer ? Disparaître ? On la lui baille belle. L'amour-propre s'affirme, il s'étale, il s'installe, il ramène tout à lui. Vous lui opposez les autres ? Il ne reconnaît que ce que les autres lui doivent ou ce qu'il peut en tirer. De là surgissent les conflits qui ruinent la bonne entente entre les hommes. « Pourquoi passerais-je après les autres, ne suis-je pas aussi capable qu'eux ? pensera l'un. - J'ai les mêmes besoins qu'eux, opine l'autre, et pour le moins autant de mérites. - Je suis le chef, estime un autre, mon rôle est-il de m'effacer, puisque je dois exercer l'autorité ? » Et l'on n'est plus éloigné de conclure que l'humilité ne peut être tenue pour une vertu, car si on la mettait en pratique, elle conduirait à l'annihilation de toute personnalité.
Voilà qui dénote une extrême confusion dans les idées. L'évangile – nous aurons l'occasion de le redire – est une école de grandeur et d'audace. Bien loin de nous annihiler, il nous oblige au contraire à tirer tout le rendement possible de nos qualités naturelles, à nous mettre en avant pour agir, mais après avoir agi de notre mieux, à ne plus nous mettre en valeur. C'est le premier aspect de la vertu d'effacement.

Au reste, le mot l'indique assez clairement. L'écolier n'aurait rien à « effacer » sur son ardoise s'il n'y avait auparavant inscrit des chiffres ou des lettres. Je ne puis m'effacer qu'après avoir agi ; je ne puis disparaître qu'après m'être montré. L'humilité ne consiste pas à se cacher pour ne rien faire, mais à ne pas s'admirer quand on a fait le plus et le mieux possible. Je dirai davantage. Si l'on veut réussir un travail, il faut n'avoir en vue que ce travail, sans chercher les applaudissements. Si l'on veut parler utilement, il faut songer uniquement à ce qu'on dit, sans s'écouter parler. On ne saurait être à la fois spectateur et acteur ; on ne peut pas se mettre à la fenêtre pour se voir passer dans la rue. Le bon ouvrier est tout entier à son oeuvre ; il s'efface devant elle. Pourvu qu'elle soit bien faite, il est satisfait et il répudie comme indignes de lui tout retour de vanité et tout sentiment de suffisance. Prétendra-t-on que sa modestie l'a annihilé ? Je trouve pour ma part que cet humble est singulièrement fier? Car la fierté n'est pas de l'orgueil : bien plus, elle l'exclut.

Non seulement la petite vertu d'effacement ne nous diminue pas, mais elle présente un autre aspect sous lequel elle s'apparente à la charité. Le disciple de Jésus-Christ, s'il ne s'admire point, se plaît en revanche à reconnaître ce que les autres font de bien, et surtout ce qu'ils font de mieux que lui-même. On ne l'entend pas se vanter, mais il est le premier à louer joyeusement les succès d'autrui. Comme il disparaît derrière son oeuvre bien faite, il s'efface très simplement devant les qualités et les mérites de ses semblables. De cette disposition, saint Paul n'hésite pas à faire un précepte universel. Que chacun d'entre vous, écrit-il, estime en toute humilité que les autres lui sont supérieurs. Ne vous récriez pas. L'Apôtre ne vous demande pas de nier l'évidence. Non, ne fermez pas les yeux sur vos propres qualités ; vous aussi, sur plusieurs points vous êtes plus habiles ou plus vertueux que bien des gens. Il n'en est pas moins vrai que même ceux auxquels vous avez le droit de vous juger supérieurs ont des aptitudes et peut-être aussi des vertus que vous ne possédez pas, du moins au même degré. Si nous observons avec objectivité, il n'y a personne qui ne nous dépasse par quelque endroit : tel est plus énergique, tel autre plus adroit, celle-ci est plus vive, celle-là plus indulgente. Cherchons toujours à reconnaître les qualités des autres et effaçons-nous loyalement devant leur supériorité.

Un pas de plus et nous arrivons à la perfection. Puisque les autres ont comme nous des mérites et des droits, pourquoi exigerions-nous qu'ils se plient toujours à toutes nos volontés ? Sachons nous effacer devant les désirs ou les préférences de ceux avec qui nous vivons. Assurément, il y a des circonstances où un chef de famille doit imposer sa décision, sous peine de trahir son devoir d'état ; mais alors, ce n'est pas son opinion ou son goût personnel qu'il fait prévaloir : il exige le respect d'une loi supérieure à laquelle il se soumet le premier. En dehors de ces cas où l'autorité a le devoir d'exercer ses responsabilités, la bonne entente sera toujours mieux assurée au foyer lorsque chacun se proposera de faire plaisir aux autres.

Nul ici ne me contredira, je pense. Si la mère a mérité d'être appelée la reine du foyer, c'est moins parce que tous lui obéissent que parce qu'elle s'efface continuellement pour se mettre au service de tous. Jésus n'a-t-il pas affirmé que le plus grand est celui qui sert les autres ?
Eh bien ! Il serait injuste que la maman fût la seule à s'effacer. Tous doivent l'imiter et, ce faisant, tous contribuent au bien-être du foyer. Les foyers malheureux sont ceux que régissent les deux affreuses lois du « chacun pour soi » et du « moi d'abord ». Au règne de l'égoïsme, le Christ a substitué celui de l'amour, qui implique l'oubli de soi. Dans les foyers chrétiens, l'ordre égoïste est renversé : « Les autres d'abord ; moi ensuite. » On trouve son bonheur à rendre les autres heureux. Au lieu de s'emparer du siège le plus confortable ou de guetter la meilleure part, chacun songe à les offrir aux autres et il se réjouit de leur accorder ce plaisir.
Les époux sont toujours d'accord lorsque, avant d'exprimer un désir, le mari et la femme chacun de son côté, s'interrogent intérieurement : « Que préfère-t-elle ? » « Que souhaiterait-il ? » C'est à qui voudra contenter l'autre.
Et vous les enfants, croyez-vous que pape et maman ne renoncent pas souvent à leurs aises pour vous donner une satisfaction ? Ils sont heureux de votre joie. A votre tour, ne laissez passer aucune occasion de deviner leurs préférences et effacez-vous gentiment, sans le faire remarquer. Ne dites pas : « On ne pense pas à moi, je suis sacrifié. » Dans une famille où tout le monde s'efforce de pratiquer la vertu d'effacement, nul n'est sacrifié. On n'a plus le besoin de penser à soi, les autres y pensent avant vous. Nul n'est oublié lorsque chacun s'oublie pour les autres.
- C'est le paradis sur terre ?
Ma foi, je le crois bien, et je souhaite de tout mon coeur que vous en fassiez l'expérience.

LA PETITE VERTU DE GRATITUDE

La petite vertu de gratitude complète la première trilogie des vertus du foyer. On s'efface sans effort devant les autres dès qu'on songe à ce qu'ils nous donnent, et notre reconnaissance se manifeste en usant de courtoisie à leur égard.
Au sein des familles, l'ingratitude positive, celle qui se traduit par de la méchanceté, est heureusement peu fréquente. L'enfant ingrat qui s'enfuit de la maison paternelle en claquant les portes, le père despote qui traite sa femme et ses enfants en esclaves constituent des monstruosités. Ce qui est moins rare, en revanche, c'est l'oubli des services que les autres nous rendent ou seulement la fâcheuse habitude de ne jamais leur en exprimer notre contentement. A ces défauts regrettables, il convient d'opposer la petite vertu de gratitude.

Les oublieux sont, paraît-il, assez nombreux. Un épisode de l'Evangile nous autoriserait à le croire, je veux parler des dix lépreux que Jésus avait guéris aux abords d'un village. Lorsque ces gens virent que leur mal avait disparu, il ne s'en trouva qu'un pour venir se jeter aux pieds du Sauveur et le remercier. Jésus ne put s'empêcher d'en faire la remarque : Est-ce que les dix n'ont pas été guéris ? Où sont les neuf autres ? Ceux-là sans doute bénissaient dans leur coeur l'envoyé de Dieu qui avait eu pitié de leur misère ; mais, pressés d'aller faire constater leur guérison par les autorités officielles afin de pouvoir rentrer dans la vie commune, ils négligèrent une démarche de reconnaissance pourtant bien élémentaire. Or les neuf oublieux étaient des compatriotes de Jésus, et le seul qui ait pensé à lui montrer sa gratitude était un Samaritain, un étranger !
Notre-Seigneur souligne lui-même ce contraste à première vue paradoxal, mais qui n'est pas chose inouïe. Alors que souvent l'on attend en vain les remerciements de personnes qu'on a aidées au prix de réels sacrifices, d'autres pour qui nous avons fait beaucoup moins s'en souviennent longtemps après et ne savent qu'imaginer pour nous payer de retour. N'arrive-t-il pas encore, qu'attentifs à remercier un étranger d'un bienfait occasionnel, nous ne semblons même pas apercevoir les services de chaque jour que nous rendent nos proches ? De leur part, ces gentillesses sont tout ce qu'il y a de plus naturel. Soit, mais il le serait aussi de leur dire que nous y sommes sensibles.

Notre mémoire est singulièrement capricieuse, à moins que ce ne soit notre coeur. Si nous oublions une amabilité dont nous avons été l'objet, avec quelle précision nous retenons le souvenir d'un manque d'égard ou d'un mot blessant ! Un proverbe l'affirme : Mémoire du mal a longue trace, mémoire du bien bientôt passe. Comme nous savons rappeler aux autres nos bons offices ou la peine que nous avons prise pour les obliger ! Le souvenir des bienfaits rendus est plus tenace que celui des bienfaits reçus. La vanité s'entend si bien à fausser les perspectives ! Et sans doute est-il moins grave que nos ingratitudes soient imputables à une démangeaison de l'amour propre plutôt qu'à un défaut d'affection envers ceux qui nous aiment ; le mieux serait pourtant que notre affection fût assez forte pour nous demeurer toujours à l'esprit.
Il faut donc combattre notre maudite amour-propre et commencer la lutte de bonne heure. En quel foyer n'a-t-on pas entendu le dialogue suivant ? A la table familiale, l'enfant demande un morceau de pain à son père. Celui-ci saisit la miche et en taille une bonne tranche, où l'enfant mord aussitôt à pleines dents.
- Eh bien ! Interroge le papa, qu'est-ce qu'on dit ?
La bouche pleine, le moutard murmure un timide merci.
- Merci qui ?
Merci, papa ...
Et combien de fois cette scène ne se reproduira-t-elle pas ? L'un des premiers mots articulés par vos bébés est : non. Celui-là, inutile de le leur apprendre, mais combien de répétitions sont nécessaires pour leur inculquer l'habitude de dire : merci. Instinctivement, ils tendent la main pour recevoir : « Encore, encore !... » Le remerciement, lui, ne remonte pas des sombres régions de l'instinct ; il sort d'une conscience que l'éducation a éclairée.

Beaucoup d'adultes demeurent à cet égard des petits enfants toute leur vie. Ils ne sont jamais satisfaits ; ils réclament encore ; ils veulent toujours plus. Comment les amener à reconnaître que ce qu'il leur manque est peu de chose à côté de tout ce qu'ils ont reçu ?
Comment surtout les persuader d'apprécier davantage ce qu'ils possèdent ? Ils devraient eux aussi apprendre à dire merci.
Merci, ce tout petit mot joyeux qui se termine par une sonorité cristalline, c'est le mot magique qui introduit au foyer la courtoisie, le bon ordre et la sérénité.
Merci, c'est déjà la prière d'un foyer chrétien qui s'élève vers Dieu pour lui rendre grâces. Avez-vous remarqué la place qu'occupe cet acte de gratitude dans nos prières usuelles ? Nous disons le matin : « Mon Dieu, je vous remercie de toutes les grâces que vous m'avez faites jusqu'ici. C'est encore par un effet de votre bonté que je vois ce jour ... » Et le soir : « Quelles actions de grâce vous rendrais-je, ô mon Dieu, pour tous les biens que j'ai reçus de vous. Vous avez songé à moi de toute éternité, vous m'avez tiré du néant, vous avez donné votre vie pour me racheter, et vous me comblez encore tous les jours d'une infinité de faveurs ... » Réfléchissez-y, il n'a pas un seul jour où Dieu ne vous ait accordé un bienfait particulier ; même dans nos jours d'épreuve, cherchons bien, nous observerons qu'à côté de notre tristesse, il s'est glissé une petite joie. Et n'est-ce pas un grand bonheur que l'union qui règne à votre foyer ? Vous qui aimez, remerciez Dieu d'un sort aussi doux.
Mais sachez vous l'adressez également les uns aux autres ce petit mot qui coûte si peu à dire et qui fait tant de bien à entendre. Avant de vous endormir, repassez quelquefois dans votre esprit tout ce que, dans la journée qui s'achève, vous avez reçu des autres. De tous les autres, car le nombre est considérable des hommes et des femmes qui travaillent chaque jour pour vous nourrir, vous vêtir, vous procurer les commodités de l'existence. Même si vous limitez ce calcul aux membres de votre famille, vous serez littéralement émerveillés de tout ce qu'en un seul jour vous recevez d'eux : tout ce qu'ils vous ont appris ; les conseils qu'ils vous ont donnés ; la main-forte qu'ils vous ont prêtée ; tantôt un encouragement, tantôt un avertissement, mais toujours pour votre bien ; une parole aimable qui vous a touchés, un mot drôle qui a dissipé vos tracas ; leurs succès dont vous avez été fiers ; leurs efforts qui ont stimulé les vôtres. Le compte est bon de ce qu'au foyer chacun reçoit des autres. Et voilà certes de quoi vous engager à n'être pas toujours celui qui reçoit. Demandez-vous donc : « Que leur ai-je donné ? Que puis-je leur donner en retour ? »
Mais en attendant l'occasion de les servir avec autant de générosité, ne manquez pas celle de leur dire merci lorsqu'elle se présente. Merci au moindre service rendu par qui que ce soit, mais prononcé sans affectation, comme on échange un regard. A lui seul ce petit mot récompense de toutes les peines ; il répare au besoin la phrase un peu vive qui vous a échappée auparavant ; il équivaut à un sourire et souvent il le provoque ; il rend heureux celui qui le dit et celui à qui on l'adresse.
Il est frappant d'observer qu'au moment où Notre-Seigneur se rend volontairement à la mort pour mériter aux hommes une vie éternelle, il a tenu à remercier ses apôtres de l'attachement qu'ils lui avaient prouvé tant qu'il vivait avec eux. Vous, leur dit-il, vous êtes demeurés auprès de moi dans mes épreuves. La grandeur de l'âme de Jésus se révèle dans cette délicatesse. Il n'a cessé de combler ses apôtres, il leur a tout donné, et c'est lui qui les remercie.
N'est-ce pas toujours le propre d'un coeur vraiment généreux que de se montrer reconnaissant envers les autres du peu qu'ils essayent de faire pour lui ? Les ingrats se recrutent parmi les coeurs égoïstes, les esprits mesquins et les caractères médiocres. La petite vertu de gratitude est la preuve d'un grand coeur. Même envers celui qui est maladroit ou qui se trompe, du moment qu'il a bonne volonté, soyez reconnaissants au moins de son intention.
Quant à celui qui vous parle en ce moment, puisque vous avez eu la patience de l'écouter, il ne peut mieux terminer qu'en vous disant merci.

La petite vertu de sincérité

Dites oui, si c’est oui ; non, si c’est non. Telle est, mes chers auditeurs, la règle que Jésus impose à ses disciples. Il veut qu’on pousse nous croire sur parole.
Il n’y a pas de vie sociale possible, en effet, si l’on ne peut pas se fier aux déclarations d’autrui. Tromper quelqu’un, c’est le traiter en ennemi, mais c’est du même coup se déshonorer et se rendre indigne de confiance. On comprend que Notre-Seigneur n’accepte pas que des lèvres chrétiennes profèrent un mensonge. Pas de faux-fuyant ni de ruse : Disons simplement la vérité : Oui, c’est oui ; non si c’est non.
Je vous ferais injure, chers auditeurs, si je paraissais seulement supposer qu’on ose mentir dans un foyer chrétien, je serais plus catégorique : là où sévit le mensonge, il y a peut-être encore les apparences d’un foyer, mais leurs murs en sont lézardés et la ruine, hélas ! est prochaine. On ne peut pas s’aimer en dehors de la vérité et, dans le langage de la affection, le mensonge est ni plus ni moins une trahison.
Mais s’il est superflu et, je le répète, offensant de rappeler le devoir de la franchise aux membres d’une famille unie, en peut-on dire autant de la petite vertu de sincérité ?
Quand un jeune moutard s’embrouille dans les explications qu’il donne de sa conduite, la maman l’interrompt : Qu’est-ce que tu me racontes-là ? ton nez remue, » et sans doute si le coupable se regardait dans la glace, contesterait-il à son tour la véracité de sa mère. Cependant, celle-ci ne s’y trompe pas. Les narines, les lèvres, les paupières d’un petite pâleur marquent un léger frémissement qui révèle qu’il est en tain de prendre quelques libertés avec la vérité. Or ce défaut n’es pas seulement le fait des petits ; les grands, même les très grands y sont également sujets, et, qu’on le veuille ou non, ces entorses à la vérité constituent un certain abus de convaincre, elles risquent en outre d’ouvrir la porte à des tromperies plus graves. On se droit les interdire.
Le propre de la sincérité est de ne vouloir dire que des choses vraies. Quelques-uns ont avancé que ce mot viendrait du latin sine cera, sans cire, par allusion aux cires, pâtes et onguents dont les dames romaines se servaient pour masquer les rides de leur visage. Nos Française connaissent aussi ces secrets de beauté, et puisqu’elles les emploient, je pense, dans le désir d’être plus agréables à ceux qui les entourent, on se montrerait bien sévère à les blâmer d’une aussi louable attention, encore, qu’aucun apprêt ne vaudra jamais la fraîcheur naturelle, de la jeunesse. Mais on ne saurait excuser quiconque recourt à des artifices similaires pour enjoliver, colorer ou farder la vérité.
La sincérité porte sur ce que nous pensons et sur ce que nos faisons.

En nous oblige donc en premier lieu à ne pas être de l’avis du dernier qui a parlé et à ne pas dissimuler notre manière de penser. Il arrive en famille qui, sous prétexte de charité, on préfère abonder dans le sens de ceux qui a manifestent plus énergiquement leur opinion, par crainte de les irriter ou dit amen à tous leur jugements. « Pourquoi les contredire, puisqu’on ne les convaincrait pas ? » sans doute assurez-vous ainsi votre tranquillité, mais ne couvrez pas votre reculade sous des dehors charitables. Est –il flatteur pour les autres de leur attribuer un caractère entier et autoritaires ? Si vous croyez qu’ils se trompent, la charité vous conseillerait plutôt de les éclairer doucement, en leur soumettant votre point de vue qui peut élargir leur vision, la charité ne vous contraint pas adopter une opinion que vous ne partagez point, elle veut seulement que vous ne blessiez pas les autres en émettant un avis différent du leur.
Lorsque le roi saint Louis demanda au sire de Joinville s’il ne lui semblait pas moins grave d’être atteint de la lèpre que de commettre un péché mortel, Joinville ne craignit pas de lui avouer ingénument sa façon de penser. « Et moi, reprit-il, qui oncques ne mentis, je lui dis que j’aimerais mieux avoir commis dix péchés mortels que d’être frappé de la lèpre. » Certes, le souverain avait raison et nous admirons sa sainteté, mais la loyauté du chevalier n’est pas moins admirable ; « Moi qui jamais ne mentis… » Voilà le type de l’homme sincère, incapable de feindre.
La vertu de sincérité ne s’exerce pas seulement dans l’expression de notre pensée, mais sur le champ plus vaste des faits dont nous sommes les témoins ou les auteurs. Sur ce point, bien des gens ont du mal à être parfaitement objectif, parce qu’ils ne voient pas seulement les faits avec leurs yeux et ne les jugent pas uniquement avec leur froide raison. Ils les interprètent sous l’impulsion, souvent inconsciente, de leurs désirs ou de leurs craintes, de leur sympathie habile à excuser leurs amis ou de leur antipathie prompte à soupçonner une mauvaise intention chez les autres. Savez-vous que l’office de témoin n’est pas facile à remplir ? S’en bien acquitter supposerait que notre attention ait tout observé et que notre mémoire ait tout retenue aussi exactement qu’une plaque photographique. Aussi, à défaut d’une objectivité absolue, rarement possible, on doit et cela est une vertu posséder assez de désintéressement pour déclarer que nous rapportons les choses telles que nous croyons les avoir vues ou entendues, telles du moins que nous les avons comprise, ainsi que pour exprimer nos jugements avec les nuances qu’exige le risque que nous courons toujours de dénaturer tant soit eu la réalité.

Toutefois, le risque est plus grand lorsque nous parlons de ce que nous avons fait nous-même. Il faut un fier courage pour ne pas accentuer ce qui nous met en valeur ou en pas atténuer ce qui nous est défavorable. Mais grossir la vérité ou la rogner adroitement, c’est toujours l’altérer. Pauvre vérité, il paraît qu’en sortant du puits elle n’a pas de vêtement ; ce spectacle nous est rarement accordé, car, lorsqu’elle se présente en public, quelqu’un a généralement pris soin de l’habiller. Qu’elle soit ornée d’innocentes broderies, le crime est bénin, pourvu qu’à force d’exagérations elle ne soit pas rendue méconnaissable. Mais qui n’a jamais exagéré ? On exagère pour corser l’intérêt d’une histoire ; on exagère aussi par vanité, pour se donner le beau rôle : c’est déjà moins bien, et ce ne l’est plus du tout si l’on arrange la vérité ; dans le but de flatter les goûts ou les penchants d’un interlocuteur, flatter quelqu’un, c’est fatalement le tromper.
Peut-être seriez-vous plus indulgents envers ceux que la timidité pousse à voiler leurs erreurs ou leurs torts. Il arrive, à coup sûr, qu’on puisse, sans mentir, ne pas dire toute la vérité, mais le plus souvent les réticences et les prétéritions aboutissent à fausser. Faut-il donc se condamner ouvertement ? C’est quelques fois un devoir, qui comporte en contre-partie le droit de le plaider les circonstances atténuantes. Mais on gagne toujours à parler de soi avec sévérité : lorsqu’on s’accuse, les autres vous trouvent des excuses. Et vice versa.
Enfin le silence peut, lui aussi , témoigner contre a vérité. Par exemple, on est interrogé et, pour donner une réponse satisfaisante ,il faudrait entrer dans toutes sortes de commentaires. Alors, par paresse ou par lassitude, on simplifie, on schématise, et de la vérité, il ne reste plus grande chose.
Or, des travers que nous venons de passer en revue, celui-ci me paraît le plus dangereux, parce qu’il porte atteinte à la confiance qu’on se doit en famille. Si vous décidez que vous activités n’intéressent pas les autres ou qu’ils n’ont rien à y voir ( exempté, bien entendue, le cas d’un secret dont on est dépositaire ), vous créez à l’intérieure du foyer des zones fermées, où l’individualisme ronge peu à peu les liens de la communauté familiale.
Il semblait plus simple de ne pas tout dire ; bientôt ce sera plus simple de ne rien dire, et l’on finira par vivre sous le même toit étrangers les unes aux autres. L’heure n’est peut-être plus éloignée où ce silence favorisera la dissimulation de sentiments et d’actions qui ne sont plus complètement innocents. Insensiblement on a franchi le pas, on es tenté dans le mensonge.
Nous dirons la prochaine fois que la charité apporte des limites à la sincérité. Mais si vous êtes autorisés à taire certaines choses à ceux que vous aimez, précisément parce que vous les aimez, le même principe veut qu’habituellement vous leur ouvriez largement le sanctuaire de vos pensées de votre conscience, que tous vous mettiez en commun vos expériences, vos réflexions, vos désirs, que vous ayez confiance les uns dans les autres. Qu’un chrétien affirme ou qu’il nie, nul ne doit pouvoir contester sa parole : c’est oui, s’il dit oui, et s’il dit non, c’est non.

La petite vertu de discrétion

Au devoir de la sincérité dont je vous ai parlé il y a huit jours, vous aurez, cher auditeurs, apporté le correctif qu’il réclame, à savoir que « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Je souscris volontiers à cette réserve, du moment qu’il ne s’agit du bien de la personne à qui l’on parle : en ce cas, la charité est une limite légitime ; mais si la vérité devait seulement attirer des ennuis à celui qui parle, ce ne serait pas toujours une raison plausible de se taire, et il se pourrait que la vérité fût bonne à dire, même à notre préjudice. Il reste hors de cause qu’on ne doit pas parler sans discernement, et l’art de discerner ce qu’il faut dire, ainsi que la manière de le dire font l’objet de la vertu de discrétion.
Encore une « petite » vertu, mais qui contribue puissamment à la paix du foyer. La vertu de discrétion consiste premièrement à ne pas vouloir tout connaître, et deuxièmement à savoir ne pas tout dire.
Foin des indiscrets qui cherchent à se renseigner su tout auprès de tous et qui vous posent à brûle-pourpoint des questions en des matières qui ne les concernent pas ! Il est trop clair qu’on ne doit pas la vérité à ceux qui n’y ont pas droit, et qui pourraient, au surplus, faire un mauvais usage de la réponse qu’ils vous auraient arrachée. Le questionneur intempestif n’a pas fondé à se plaindre si vous avez éludé son coup de sonde poliment ou… brusquement. Toute famille a son histoire, ses projets, ses secrets qu’elle peut défendre contre la curiosité de ces sortes de cambrioleurs que sont les indiscrets.
Mais voici un cas plus délicat, Est-ce qu’au même foyer on peut avoir des secrets les uns pour les autres ? Je réponds que chacun y est obligé de respecter la vie personnelle des autres et de ne pas tenter d’en forcer l’accès. Il va de soi que lorsqu’un chef de famille est médecin ou avocat, il est rigoureusement lié par le secret professionnel, que nul ne doit chercher à découvrir. Convenez aussi qu’une femme, si tendrement qu’elle aime son mari, n’est pas autorisée des avantage à lui faire part de la confiance d’une amie qui est venue chercher auprès d’elle un conseil dans une affaire tout intime. De même que nous ne saurions disposer d’une somme d’argent que nous avons acceptée en dépôt, de même le secret que nous avons consentie à entendre ne nous appartient pas, il est la propriété de celui qui nous l’a confié ; nous n’avons pas les droit de le divulguer. Les parents peuvent avoir des secrets à l’égard de leurs enfants déjà grands ; mais l’inverse peut se produire, et ceci réclame beaucoup de tact de la part des parents.

Sans doute, dans les heures critiques que traversent parfois les adolescents, ils trouveront rarement, en général, des confidents plus attentifs et plus secourables que leur père ou leur mère. Encore ne voudraient-ils se convier à eux que si les parents ne leur font pas subir, un interrogatoire top serré et s’ils ne se plaignent pas trop amèrement des silences prolongés de l’enfant qui grandit. Je dirais à ce dernier : « Allons, secoue-toi un peu, fait effort pour te mêler à la conversation de la table familiale, » et je conseillerais aux parents : « Vous le voyez soucieux, maussade, vote intuition ne vous trompe pas, il a un secret. Que vote affection soit à la fois vigilante et patiente. Une interrogation trop directe l’emprisonnerait dans son mutisme. Attentez. Un mot le trahira bientôt. Ne le relevez pas tout de suite. Mais quand vous serez en tête à tête avec lui, demandez-lui doucement ce que ce mot signifiait. L’aveu viendra de lui-même. »
La bonne méthode est d’être soi-même ouvert et confiant, d’écouter toujours les autres Oh ! Oui, il faut avoir soin d’écouter, mais aussi de respecter leur silence. La confiance d’autrui est à la mesure de notre discrétion.
Est-il nécessaire d’ajouter que si les confidences ne se cherchent pas, c’est ensuite un devoir de justice de les garder jalousement pour quoi ? E ceci nous conduite au second aspect de la vertu de discrétion, donc nous avons de multiples occasions dans la vie de tous les jours, j’entends la précaution de ne pas dire inconsidérément tout ce qu’on sait.
Les anciens avaient fait de la discrétion une déesse. Sa statue la représentait les lèvres scellées, et ils l’avaient placée dans le temples de la joie. Ceci est très instructif, car la discrétion porte en elle-même sa récompense, trop parler nuit, affirme un proverbe ; en revanche, on n’a ordinairement qu’à se réjouir de n’avoir pas trop parlé. L’apôtre saint Jacques déclare que l’ homme capable de maîtriser sa langue est un homme parfait, mais il estime que cette maîtrise n’est pas chose commune, tel était aussi l’avis du moine qui écrivit le livre de l’Imitation « Plus d’une fois, confesse-t-il, j’ai regretté de n’avoir pas gardé le silence. »
Assurément, un certain abandon est tout à fait de mise dans les conversations en famille. On doit pouvoir dire librement ce qu’on pense : encore faut-il prendre le temps de penser avant de parler. Et puis, même en famille, il est agréable à tous qu’on ne parle pas sans arrêt ; on goûte alors davantage peut-être le plaisir de se trouver réunis, tandis que chacun poursuit son occupation personnelle, qui la lecture, qui la couture, qui les études. Se tenir, se reposer, travailler ensemble est déjà une des joies de l’amitié, beaucoup plus sensible quand on ne la trouble pas par des discours sans intérêt.
Néanmoins, spécialement en famille, le plus souvent on parlera. Première précaution à prendre : se garder de répéter tout ce qu’on appris au dehors, avant de l’avoir contrôlé sois-même. Naturellement, plus la nouvelle est inattendue, piquante, drôle, plus on a hâte et plus on a de plaisir à l’ébruiter. Attention à la réputation du prochain. Ne vous rassurez pas trop vite.

« Il n’y a pas de fumée sans feu », dites-vous. En général, il y a dans les racontars plus de fumée que de feu.
« Ce mot comique n’est pas très méchant ! » Est-ce l’opinion de celui sur le dos duquel vous casez si allégrement du sucre? Le dard du moustique est moins épais qu’un cheveu : sa piqûre n’a cependant rien d’agréable. Et seriez-vous flattés qu’on en usât de même à votre égard?
La discrétion oblige à discerner le vrai du faux dans l’histoire qu’on nous a racontée ; dans l’incertitude, ne la répétons pas ; renonçons plutôt à faire rire au détriment de la vérité et aux dépens des autres. Même si les faits défavorables aux autres sont exactes, fussent-ils le secret de polichinelle, ne donnons pas de publicité à une faute. La théologie catholique a formulé, à propos de la médisance, une règle de haute sagesse : « On n’a le droit de parler des fautes et des défauts du prochain que lorsqu’on en la e devoir. » Oui mettez les autres en garde conte l’influence fâcheuse ou les mauvais agissements d’un tiers. Dites alors ce que vous connaissez de science certaine, mais dites-le gravement, sans malice, uniquement dans l’intérêt de ceux que vous avez le devoir de protéger.
Enfin, la vertu de discrétion nous commande de ne pas dire aux autres ce qui leur causerait inutilement de la peine, remarquez l’adverbe « inutilement ». Les parents doivent reprendre un enfant coupable ; entre frères et sœurs, on peut se signaler mutuellement se défauts : cela fait partie de l’éducation. Si l’avertissement est public, qu’ils soit bref et qu’on parle aussitôt d’autre chose. Mais le reproche sera plus efficace et moins humiliant s,il est fait en particulier. Jésus en personne nous en donne le conseil : Si ton frère comment une faute, va le trouve et reprends le seul à seul.

Et dehors de ces cas nécessaires de correction fraternelle, veillons à ne pas faire de peine à quelqu’un qui nous aime, même si occasionnellement il nous impatiente ou nous contrarie. Vous prétendez lui dire ses quatre vérités. Pourquoi quatre? Je n’en sais rien, mais je sais bien que vous êtes en colère. Si vous voulez lui dire ses vérités, eh bien! Commencez par reconnaître toutes ses qualités : après cela, vous passerez au chapitre des défauts ; pendant ce temps, votre courroux sera tombée et vous saurez le reprendre très gentiment et pour un plus sûr profit
Non, ne vous faites pas de peine à ce foyer où vous avez tant d’autres motifs d’être indulgent les uns pour les autres. Vous vous taquinez, assurément. On ne taquine que ceux qu’on aime bien. Apprenez seulement à manier aimablement la taquinerie. Les meilleurs plaisanteries sont les plus courtes ; n’insistez pas sur ce petit travers, sur cette petite bévue. Il faut que votre victime soit la première à rire de votre réflexion. Arrêtez-vous dès que le rire commence à devenir jaune. Effacez la petite piqûre avec une bonne marque de tendresse. Mais jamais vous entendez, jamais, surtout les plus âgés envers les plus jeunes, n’employez l’ironie blesse toujours et ses blessures sont profondes.
Vous vous récriez : « La cousine Berthe ; éprouve un besoin incoercible de chanter, et la malheureuse chante faux. Lui dirai-je q’elle chante juste ? » Non, assurément, mais comme elle a ms tout son cœur à chanter ( ou à exécuter sa romance ), dites-lui cette romance est très jolie, vous ne mentirez point et vous ne la chagrinerez pas. Après tout, son innocente manie vous aura un peu amusé. Alors tout le monde sera content.
Le monde ? Ne pensez-vous pas qu’il se divise en deus catégories . a côté de ceux qui cherchent à faire de la peine, il y a tous ceux, bien plus nombreux, qui tâchent de faire plaisir,.Votre choix est fait depuis longtemps, mes chers auditeurs, vous êtes tous parmi les seconds. Voilà qui vous aidera à trancher avec la discrétion voulue les cas de conscience que je vous ai soumis, avec un égal respect de la vérité et de la charité.

La petite vertu de d’espérance

Tout finit ici-bas, mes chers auditeurs, et cependant rien ne finit, tout recommence. Vendredi, en échangeant entre vous le baiser du soir, vous soupiriez : « Encore une année de finie ! » et vous avez fait le compte de ce que ces trois cent soixante-six jours écoulés vous apportèrent de joies et de peines. Les beaux jours sont passés, les mauvais aussi : nous ne le reverrons plus. Peut-être le souvenir d’un deuil vous a-t-il alors serré le cœur : le visage d’être aimé, ne n’est que trop vrai, vous ne le reverrez plus . Mélancolie des jours qui s’en vont et qui ne reviendront pas. Cependant, hier matin, la maison s’est emplie des cris joyeux de vos enfants que vous adressaient le souhait traditionnel : « Bonne année, bonne santé !» Après vous avoir embrassés, les plus petits ne perdaient plus des yeux un seul geste de vos mains, ces mains qui tirèrent soudain de quelque cachette ignorée les merveilleuses étrennes. Et la joie des jeunes à réveillé en vous quelque chose de plus merveilleux, que Dieu a mis dans le cœur des hommes, la petite vertu d’espérance.
Petite vertu, vous récriez-vous, la seconde des trois vertus théologales !
Vous avez raison, l’espérance est une très grande vertu, et parce que son objet est Dieu lui-même possédé dans le ciel, et parce que pour ne pas douter d’un tel bonheur, nous qui vivons dans l’obscurité, dans les difficultés, dans la souffrance, nous devons faire un acte de foi total en la bonté de Dieu et l’aimer d’un amour semblable au sien, l’amour qui se donne avant d’avoir reçu.
Mais ce riche lingot de l’espérance surnaturelle se monnaie tout au cours de la vie en quantité d’actes de confiance en Dieu, qui nous autorisent à parler, après Péguy, de la petite espérance » quotidienne, « celle qui tous les matins nous donne le bonjour ». C’est elle que je voudrais voir briller à tous vos foyers au début de ce nouvel an.
Dans le langage chrétien, l’espérance n’est pas une prévision, à l’encontre de ce que s’imaginent bien des gens pour qui « espérer » consiste à scruter l’avenir, à soupeser les probabilités pour établir des pronostics ; après quoi, ils concluent : j’ai bon espoir, ou au contraire : je n’ai pas grand espoir, ce qui signifie en réalité : je crois avoir ou non des chances de réussir. Vous surprendra-je en déclarant que ces calculs n’ont rien de commun avec l’espérance chrétienne ?
Celle-ci, bien que tournée vers l’avenir, tient tout entière dans le présent. Espérer, ce n’est pas être sûr du lendemain, c’est avoir confiance aujourd’hui, non pas confiance dans les événements imprévisibles, mais en Dieu qui les dirige et qui nous aime.

« Laissez aux païens, disait Jésus, le tourment de savoir s’ils auront à manger ou de quoi ils se vêtiront demain. Ils auront beau se mettre martel en tête, leurs préoccupations n’allongeront pas la durée de leur vie d’une minute. Dieu ne vous aurait pas appelés à la vie s’il n’avait pourvu à vos moyens de subsistance. Il y a sur la terre de quoi nourrir et habiller tous les hommes. Que tous soient fidèles à ses commandements et pratiquent la justice, nul ici-bas ne manquera de rien. En ce qui vous concerne, faites consciencieusement votre devoir, donnez-vous bravement à votre tâche et ayez confiance dans votre Père des cieux qui connaît vos besoin, » Et Jésus nous trace notre règle de conduite en une formule devenue proverbiale : Ne vous inquiétez pas du lendemain. Demain prendra soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.
Voilà l’espérance selon l’Évangile : elle ne se fonde pas sur l’impossible sécurité du lendemain, mais elle nous procure la paix dan l’insécurité de tous les jours. C’est aujourd’hui que nous espérons, sans rien savoir de ce que demain nous réserve : notre sécurité réside dans la certitude que Dieu nous aime ; c’est e lui que nous espérons.
Hélas ! une crainte instinctive nous pousse à interroger l’avenir, ce Spectre toujours masqué qui nous suit côte à côte et qu’on nomme demande comme dit le poète. Oh! demain, c’est la grande chose, de quoi demain sera-t-il fait ?… Demain, c’est l’éclair dans le voile, c’est le nuage sur l’étoile…
Les vers de Victor Hugo hantent notre mémoire, Cependant, le grand poète se trompe ici, demain n’est pas la grande chose. La grande chose, c’est aujourd’hui, nous pouvons conjurer les maux de demain qui résulteraient de nos imprudences : demain, ce serait trop tard. Aujourd’hui nous pouvons peser les conséquences de nos actes : demain, il n’y aura plus qu’à les subir.
A chaque jour suffit sa peine. L’espérance chrétienne, en nous obligeant à vivre au jour le jour, nous épargne les déceptions et les découragements. Bâtir des châteaux en Espagne est le plus sûr moyen de coucher à la belle étoile ; inversement, la criante de n’avoir plus de toit paralyse, nos efforts. Ne nous leurrons pas de lendemains fantastiques, ne nous inquiétons pas de lendemains tragiques, remplissons tranquillement notre tâche du jour présent que nous connaissons et nous saurons remplir celle de demain que nous ignorons.
A chaque jour suffit sa peine. Que Dieu est bon de nous avoir caché l’avenir ! Si nous connaissions l’épreuve qui nous attend dans les jours qui viendront, son poids nous effraierait et nous écraserait d’avance. Chargeons-nous seulement du fardeau d’aujourd’hui, il est à la mesure de nos épaules. Demain aura soin de lui-même, Dieu nous donnera demain de nouvelles forces pour faire face aux difficultés nouvelles qui nous sont inconnues.

Jésus nous défend-il de préparer ces lendemains inconnus? Non point, car ceux qui ne voient pas plus loin que le jour présent courent à la ruine. Le Seigneur nous interdit seulement de nous inquiéter du lendemain. L’imprévoyance est une faute, car elle sacrifie l’avenir au présent : mais l’inquiétude n’est pas une moindre erreur, puisqu’elle sacrifie le présent à l’avenir. L’inquiétude, toujours nuisible, est généralement illusoire. Quand don s’est bien prémuni contre tous les malheurs qu’on croit possibles, ou bien il ne s’en produit aucun et l’on en est pour se frais, ou bien il en survient un autre qu’on n’avait pas prévue. Celui-ci s’est privé pendant des années afin de n’être pas sans le besoin sur ses vieux jours, et voici la dévaluation qui en lui laisse que des papiers sans valeur. Cet autre qui se met en garde contre toutes les maladies futures, ne jouit pas de sa santé actuelle tellement il la peur des microbes et des courants d’air. « Les poltrons, écrit Shakespeare, meurent plusieurs fois avant leur mort .» L’inquiétude est démoralisante ; elle ne supprime pas les malheurs redoutés, elle les anticiper ; elle grossit les difficultés ; elle détruit la passion du risque sans laquelle l’homme n’a plus de courage, rappelez-vous ces lignes si simples et si biens de Péguy : « Je n’aime pas, dit Dieu, celui qui spécule sur demain. Je n’aime pas celui qui sait mieux que moi ce que je vais faire. Pensez à demain, je ne vous dis pas : calculez ce demain. Ne soyez « point malheureux qui se retourne et se consume dans son lit pour savoir ce que sera la journée de demain dont on parle toujours est le jour qui va venir et qu’il sera sous mon commandement comme les autres .»
Chers auditeurs, cultivez à votre foyer la petite vertu d’espérance qui, en élevant vos regards vers Dieu, vous rendra capables de tous les courages parce qu’elle vous délivrera de tous les craintes. A ce prix, je puis, sans vous tromper, vous souhaiter à mon tour une bonne année.
Oui, bonne année, parce que Dieu est toujours bon et veillera sur vous. Bonne année, parce qu’en vivant au jour le jour, sans perdre une des occasions présentes de bien faire et de faire le bien, tour à tour, vous goûterez et vous donnerez le bonheur. Bonne année, par ce qu’au lieu de vous inquiéter sans raison, vous apprécierez toutes les heures paisibles que Dieu vous accordera. Bonne année, même si l’épreuve doit surgir tout à coup, car les moments duras affermiront votre énergie et Dieu ne laissera se personne ni une goutte de vos sueurs ni une seule de vos larmes. Vivez chaque jour dans l’espérance en répétant la vieille locution français qui est une affirmation de courage en même temps qu’un prière : A la grâce de Dieu !

La petite vertu de la bonne humeur

Quand il vous arrive de jeûner, disait Jésus, ne prenez pas des airs tristes, sombres, renfrognés. Certes, Notre-Seigneur connaissait par expérience les duretés de la vie ; il n’ignorait pas que le ceux des hommes est parfois broyé par l’épreuve ; devant le tombeau de son ami Lazare, il partage tellement le chagrin des sœurs du défunt qu’il ne peut retenir se larmes. Mais y a assez de douleurs inévitables pour ne pas se rendre malheureux comme à plaisir. Aussi, lorsque nous n’avons pas un motif sérieux de tristesse, Jésus nous défend-il de prendre des airs accablés : Ne vous faites pas triste.
Avez-vous remarqué, mes chers auditeurs, que le vocabulaire des défauts est bien plus étendue et varié que celui des vertus? Ainsi on entend parler de gens moroses, maussades, taciturnes, ou bien bourrus, bougons, grognons, revêches ; ceux-ci sont capricieux, lunatiques, acrimonieux ; ceux-là ont l’air rébarbatif, un pli d’amertume au coins des lèvres et à la bouche des paroles aigres ; ce sont des trouble –fête, des rabat-joie. En revanche, le dictionnaire ne nous fournit qu’un très petit nombre de vertus à opposer à tant de mauvaises dispositions. Cependant, les tristes compagnons que je viens de signaler ont un commun dénominateur on dit d’eux qu’ils sont de mauvaise humeur, quand il s ne sont pas d’une humeur massacrante. Voilà qui me permettra de vous proposer, pour maintenir au foyer la joie et l’espérance que je vos souhaitais ces deux derniers dimanches, la petite vertu de bonne humeur.
Mais quelque esprit chagrin, voudra une prendre en défaut à mon tour : « Notre humeur, bonne ou méchante ,m’objectera –t-il, ne dépend pas de nous. Ne doit-on pas d’une personne désagréable qu’elle s’est levée sur le pied gauche, ce qui dénote l’absence de tout calcul ? Par une matinée de soleil, on es t naturellement joyeux, au lieu qu’un temps de brouillard nous assombri. Tel est gai parce qu’il possède un estomac complaisant, tel autre qui, a des digestions pénible trouve à redire à tout. »
Il est vrai que des influences extérieures modifient l’aspect de notre caractère, Je retiendrai même de cette constatation qu’en présence de quelqu’un qui est de mauvaise humeur, il est charitable de lui accorder, le bénéfice de ces circonstances atténuantes. Ne lui tenez pas rigueur des ses brusqueries, en effet il est peut-être malade ou seulement fatigué, ou bien ses affaires marchent al, ou hélas ! il souffre d’une blessure morale qu’il serait cruel d’aggraver de os reproches !
Quant à nous, lorsque nous ne nous sentons pas dans notre assiette, efforçons-nous de reconquérir notre sérénité, car il rarement impossible de réagir contre des causes extérieures de mécontentement. On peut chanter quand il pleut, on peut dominer sa lassitude ( ou s’accorder quelque repos), on peut dissimuler ses soucis afin de ne pas contrister les autres ; mais, ne nous y trompons pas, on ne parvient à reprendre et à conserver son équilibre moral qu’au prix d’un effort énergique, et c’est justement parce qu’elle st set conquête de la volonté que l’égalité d’humeur mérite d’être appelée une vertu.

Notre humeur n’est pas seulement le reflet du ciel claire ou nuageux ; elle est aussi le reflet de notre âme qui a ses hauts et ses bas, ses élans et ses dépressions, mais que nos pouvons contenir ou corriger, mais que nos pouvons contenir ou corriger. « Le temps et mon humeur ont peu de liaison, notait Pascal : j’ai mes brouillards et mon beau temps au-dedans de moi. » Oui, nos dispositions personnelles sont comme des verres teintés dernière lesquels nous voyons la vie en rose ou en gris. Un jour nous manifestons une gaieté exubérante qui nos trend sourds aux peines d’autrui, ou un optimisme irréfléchi qui nous cache les obstacles conte les quels nous irons buter ; le lendemain, au contraire, l’emballement a fait place au déballement , on n’a palus de goût pour rien, on se grossit les difficultés, on est à charge aux autres, impatient, susceptible, insupportable.
Ah! Quittons ces lunettes qui nous égarent, La vie st tout à tour grise ou rose, prenons-la telle qu’elle st ,Regardons-la avec nos yeux, nos yeux de chrétiens. Faisons un acte de foi en Dieu qui nous aime et qui en permet pas que nous soyons éprouvés au –dessus de nos forces, mais aussi un acte de foi en nous-mêmes. Croyons à l’utilité de nos actons, à notre capacité de bien remplir notre tâche, et surtout à notre mission de dévouement à nos semblables. Alors, cette fois, nous tenons la bonne humeur, qui dépend bel et bien de notre volonté.
La bonne humeur jaillit d'une conscience pure et d’un cœur généreux. Il reste à la développer à l’aide d’un double exercice, habituons-nous à voir le bon côté des choses et les beaux côtés des gens.
« Vous pouvez à votre choix voir dans une flaque d’eau ou la boue gisant au fond, ou l’image du ciel qui est au-dessus.» Cette parole est de Ruskin, elle est d’une vérité frappante et d,une application universelle.
Le mal est le bien sont mêlés partout. Il ne s’agit pas d’être naïfs et en méconnaissant le mal de se salir dans la boue ; mais commençons par considérer le bien, le soleil qui est jour dans l’eau dangereuse et nous contournerons la flaque d’eau. Ne nous hypnotisons pas devant les difficultés, mais cherchons bien et nous trouverons sûrement le moyen de les surmonter. Un événement nous contraire ; y changerons-nous quelque chose en malmenant notre entourage comme s’il devait être punie de notre déceptions ? Ce qui nos arrive est fâcheux ? Cela aurait pour être pire. Quelle leçon d’endurance nous recevons parfois de personnes durement éprouvées que nous plaignons de tout notre cœur et quoi nous font cette réponse si touchante L « Il y a plus malheureux que moi!» D’instinct nous prenons nos contrariétés au tragique et celles d’autrui à la légère. Le chrétien doit faire exactement le contraire, compatir sincèrement aux afflictions des autres et supporte vaillamment ses propres déconvenues. Nos projets se trouvent déjoués : faisons contre fortune bon cœur. Qui sait si cet insuccès ne tournera pas à notre avantage plus sûrement que nos prévisions ? Toutes choses ont leurs inconvénients et leurs bons côtés : regardons d’abord les bons côtés et nous viendrons plus aisément à bout des inconvénients.

Adoptons la même tactique à l’égard de nos semblables, Abordons-les par leur s baux côtés. Ils ont tous leurs défauts ( comme nous d’ailleurs ), mais tous ont leurs qualités. Les aurez-vous corrigés de leurs travers en leur parlant sur un ton cassant ? Mettez plutôt à profit leurs qualités et supportez leurs défauts en y pensant le moins possible. Lorsque nous êtes obligés d’adresser une observation à quelqu’un, ne vous bornez pas à relever ses torts ou ses erreurs, complimentez-le en même temps de ce qu’il a fait de bien, et terminez en l’encourageant. Bien des remarques peuvent êtres faites avec bonhomie, voire sur un ton enjoué : ce sont celles qui portent le mieux.
Au demeurant, la bonne humeur ne doit pas être confondue avec la manie de plaisanter à tout propos. Plus que dans des éclats de rire souvent forcés, elle se reconnaît au sourire. Elle est toujours gracieuse et c’est ce qui la rend agréable et bienfaisante. La bonne humeur, c’est le chant sur la route qui fait oublier la fatigue, rompt la monotonie et réveille l’entrain. Sur la route, et à la maison aussi. « Le serviteur de Dieu, disait saint Philippe Néri, doit être toujours de bonne humeur. » et il ajoutait : « Hors de ma maison la tristesse et la mélancolie.»
Quelqu’un m’arrête : c’est bien facile à dire quand on n’a pas de soucis.
Je réponds : c’est nécessaire à dire pour éloigner vos soucis.
Il y a des vertus qui ne paient qu’à longue échéance t il y en a d’autres dont on est récompensé toute de suite : c’est le cas de la petite vertu de bonne humeur.

La petite vertu de bienveillance

Je vous disais, il y a huit jours, mes chers auditeurs, qu’un des secrets et la bonne humeur est de s’obliger à regarder les beaux côtés des personnes avec qui la vie nous met en relations. Or l’habitude de ne voir que les côtés lumineux des âmes et de rechercher tout ce qui est beau nous conduite, à pratiquer une autre vertu qui, comme la gaieté, est un signe de force morale et une condition de bonheur, j’ai nommée la petite vertu de bienveillance.
Entendons-nous. Je n’ais pas l’intention d’enfoncer une porte ouverte : je pense bine qu’à l’intérieur de la famille, sauf de rarissimes exceptions, vous n’avez que de bons sentiments les uns pour les autres. Dans mon esprit, il s’agit de la bienveillance envers ceux qui n’habitent pas sou s votre toit. Et d’un mot je dirai que les beaux foyers, les heureux, les foyers vraiment chrétiens sont ceux où l’on ne dit pas de mal des absents ou où tout le monde st sûr de recevoir un bon accueil.
La bienveillance consiste d’abord à porter sur autrui des jugements empreints de charité, à ne point diminuer ses mérites, à se réjouir sincèrement de ses vertus et de ses succès, même lorsqu’il réussit là
Où nous avons échoué. La bienveillance nous fait accorder aux autres le préjugé favorable. N’avez-vous pas observé cette tendance instinctive qui pousse tant de gens à croire au mal plus facilement qu’au bien? Quelqu’un est accusé d’une faute, ils commencent par admettre sa culpabilité, quitte à reconnaître ensuite qu’ils ont été ou qu’ils se sont trompés. L’homme bienveillant, au contraire, commence par refuser de croire à la faute tant qu’il n’en aura pas de preuves certaines ; puis, s’il a la certitude que ce tiers a réellement commis un acte répréhensible, il s’impose de n’en point parler, à moins que ce ne soit pour lui trouver une excuse ou des circonstances atténuantes. Ne condamne pas, disait Notre-Seigneur, et vous ne serez pas condamnés. Sans douter, lorsque vous interprétez favorablement la conduite d’autrui, l’indulgence risque d vous tromper ; mais si vous le jugez avec sévérité, votre jugement est presque sûrement entaché d’ erreur.
D’où vient la malveillance ? Peut-être de l’orgueil qui, en abaissant les autres, nous donne l’illusion que nous leurs sommes supérieurs. Peut-être aussi d’un sentiment inavoué d’envier ; nous supportons avec peine que les autres aient des qualités ou des avantages dont nous en ne somme pas également pourvus et l’on n’est pas fâché de leur trouver des défauts ou de les prendre en faute. Chose curieuse, il arrive que les mieux douées portent envier à de moins favorisés qu’eux, comme le dit un proverbe persan : « Le soleil est envieux de la lune qui se lève. »
Prenons-y garde. Les sentiments les plus bas rôdent autour de ceux qui y pensent le moins et, pour s’en préserver, il faut toujours craindre d’y consentir. Et il est ainsi de ce « mauvais regard » jeté sur nos frères, et il se dit en latin invidia , d’où est venue notre mot français « envie ». Le peintre Giotto, dans une église de Padoue, a représenté l’envie sous les traits d’une femme aux oreilles démesurément élargies à force d’écouter trop avidement le mal, et dont les yeux sont mordus par un serpent : mais le serpent ne se jette pas sur elle du dehors, il sort de sa bouche. Le venin qui obscurcit le pervertit sa vision est sécrété par le cœur même de la personne malveillante.

Chrétiens, dévirons-nous de cette maladie du dénigrement, et pour cela, faisons-nous une règle d’admirer la beauté et la bonté partout où nous les rencontrons. Au lieu de relever chez les autres l’ombre qui atténue l’éclat de leurs qualités, rappelons-nous qu’il n’y aurait pas d’ombre qu’il n’y a avait pas de soleil et obstinons-nous à considérer c qu’ils ont de bon et ce qu’ils font de bien, Soyons les premiers à louer des qualités et des actions par où ils nous dépassent.
Il faut distinguer avec soin entre l’esprit critique et l’esprit de critique. Le premier est louable : grâce à lui nous distinguons le vrai du faux, le juste de l’injuste, le bien du mal il nous met à l’abri des impulsions téméraires des engouements naïfs et des condamnations prématurées. Tout autre est l’esprit de critique, la manie de ne voir, de ne chercher que le mal. Quel triste caractère celui qui est incapable d’admirer franchement ce qui est digne d’éloge ! Savoir admirer est le fait des hommes intelligents et valeureux. De même que le médisant s’intoxique de toute l’amertume qu’il distille, de même le bienveillant s’enrichit de toutes les beautés qu’il admire. En admirant on se grandit, on respire dans une atmosphère de respect et d’enthousiasme. Inconsciemment on s’élève vers Dieu, principe de toutes grandeur et de toute beauté. N’est-ce pas par ce que l’admiration est une forme de prière qu’elle nous procure la paix t la force?
C’est pourquoi nous aimons tant la maison où, autour de la table familiale, la réputation d prochain n’est jamais ternie, pour ce motif on l’appelle la maison du bon Dieu, et pour cette autre raison aussi qu’on y est toujours bien accueilli. C’est le second aspect de l’aimable vertu de bienveillance.
Dites-moi où réside la sainteté, sinon dans ce chrétien qui se tient à la disposition de tous, toujours prêt à rendre service ? On croirait qu’il n’a que cela à faire. On le dérange pas mal, et certains en abusent, mais il ne le fait pas remarquer. Pour un peu, il vous remercierait d’avoir eu recours à son obligeances. J’affirme que cette forme de renoncement l’emporte aux yeux du Seigneur sur beaucoup d’autres sacrifices, apparemment plus coûteux. D’emblée le chrétien bienveillant entre dans les préoccupations de celui qui l’aborde. Il possède l’art merveilleux, dont parle saint Paul, de se réjouir avec ceux qui sont dans la joie et d’être personnellement affligé de la peine de ceux qui souffrent. Il se fait tout à tous.
Écoutons patiemment ceux qui se confient à nous. « Rien ne plaît tant à un grand parleur qu’un parfait écouteur », disait saint François de Sales. Sans doute devez-vous ménager votre temps : il faudra parfois abréger le discours du visiteur, mais vous le ferez avec tant de simplicité et d’amitié qu’il sentira que néanmoins vous l’avez compris. Et vous quittant il partira meilleur et plus courageux.
Se faire tout à tous n’implique pas qu’on se mêle de tout pour régenter tout le monde, à la manière de la mouche du coche. Le bienveillant n’est pas un touche-à-tout. Il est seulement au service de quiconque a besoin de lui et il s’efforce de l’aider dans la mesure de ses moyens.
Dans tous les paroisse, dans tous les quartiers, il existe de ces maisons à la porte desquelles on ne frappe pas en vain : « ce sont de vrais postes de secours »; on y trouve, sinon l’aide immédiatement nécessaire, du moins l’intérêt et la sympathie qui sont un premier réconfort. L’intimité familiale ne s’y resserre pas déjà l’étroitesse d’un égoïsme collectif`elle s’épanouit dans la joie d’être utile aux autres.

A l’encontre de ceux qui pensent être des sages, en se vantant de vivre chez eux sans s’occuper des autres, « pou r ce qu’on est récompensé, ajoutent-ils, on ne s’attire que des ennuis », les foyers chrétiens, eux, ne critiquent pas les autres ( en ce siens, ils ont raison de ne point s’en occuper ), mais ils ne s’en désintéressent pas. Leur porte, leur cœur, leurs mains sont ouverts à tous ceux à qui ils peuvent rendre un service, et leur récompense est dans la joie d’avoir été bienveillants.

La petite vertu d’économie

Je crains, mes chers auditeurs, qu’à l’annonce du titre de cette causerie, plusieurs d’entre vous n’aient sursauté. « Comment, pont-ils pensé, par le temps qui court, où nous avons tant de mal à joindre les eux bouts, peut-il être question de faire des économies? »
Je m’empresse de vous avertir que tel n’est pas mon propos. C’est une des singularités de la langue française d’accepter qu’on mettre de l’argent de coté pour l’avoir devant soi. Au demeurant, cette mesure de prudence passerait difficilement pour un acte de vertu. La petite vertu d’économie consiste à s’efforcer de ne rien perdre et de tirer de toute chose le meilleur emploi possible. Vous conviendrez sans peine qu’elle a son rôle à jouer à vos foyers et même qu’elle est tout à fait d’actualité.
J’ajoute, et c’est ce qui m’enhardit à aborder ce sujet, que Notre-Seigneur en personne nous a prêché l‘économie, dans une circonstance que vous connaissez bien, après la première multiplication des pains. Vous vous rappelez qu’une foule de cinq mille hommes avait écouté ses enseignements toute une journée ; le soir venu, le Maître ne voulut pas les renvoyer chez eux à jeun ; mais, à proximité du lieu désert où ils se trouaient, pas un village où l’on pût s’approvisionner de pain. Jésus fit donc ranger ses auditeurs par carrées de cent et de cinquante et , prenant les cinq galettes d’orge que lui présentait un jeune garçon, il les multiplia en telle abondance que tous les assistants en eurent a satiété. Bien plus, compte tenu des convives avisés qui ne manquèrent pas de conserver pour la route quelques fragments de l’aliment vraiment tombé du ciel, il restait ça et là sur le sol, des débris du repas. On laisse plus facilement traîner le pain qu’on n’a pas eu la peine de gagner par soi-même. C’est alors que le Sauveur, s’adressant aux apôtres, leur donna un ordre qui, à première vue, contraste singulièrement avec la prodigalité dont il venait de faire preuve ; Ramassez, leur dit-il, les morceaux qui restent, afin que rien ne soit perdu. Effectivement, les reliefs ainsi rassemblés remplirent douze couffins. Le déjeuner du lendemain, en somme. La précaution n’avait pas été inutile.
Vous avouerais-je que cette leçon d’économie ne m’impressionne pas mois que le miracle lui-même ?
On peut donc être à la fois généreux et économe ; il faut même être économe afin de pouvoir se montrer généreux, De plus, Jésus nous signifie que les dons de Dieu, même les plus inattendus, ne doivent pas nous rendre passifs. Compter sur Dieu ne nous dispense pas de compter su r nous ; nous recevons de lui tant de biens : le temps, les aliments, les vêtements, l’argent qui nous les procure, et la santé, l’intelligence, l’habilitée, la force… Le bon rendement de notre activité et l’assistance du foyer nous commandent de n’en rien gaspiller et d’utiliser au mieux nos moindres ressources ; c’est l’objet de la vertu d’économie.
Le mot « économie » vient du grec et se traduirait littéralement : la loi de la maison, ou l’ordre dans la maisons.
Vous le savez : une maison n’est plaisant que si l’ordre y règne. J’entends la chère maman, gardienne vigilante du foyer, vous répéter le mot de Jésus : « Ramassez tout ce qui traîne. » Et le papa d’enchaîner : « une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. » Des vêtements régulièrement brossés et pliés soigneusement font un plus long usage. Les ustensiles serrés après qu’on son s’en est servie sont moins exposés à la casse. Le temps que l’on prend pou r ranger ses affaires est moins long que celui qu’on perd à chercher où l’on a pu les égarer.

Dans une maison ordonnée, le gaspillage n’est pas de mise et l’on tire parti de choses que d’autres expédient au rebut. Une feuille de papier, un petit morceau d’étoffe, un bout de ficelle ou de laine, au lieu d’être jetés au panier, sont ramassés dans une boîte ou un tiroir spécial, et l’on est content de les trouver un jour.
L’économie ne doit pas être confondue avec la lésinerie, elle permet au contraire de dépenser, mais à bon escient. Il y a des gens qui se ruinent en dépense faites mal â propos. Ils se laissent tenter par l’appât d’un prix peu élevé, mais ils n’en ont pas que pour leur argent. Quelqu’un me disait : « Je ne suis pas assez riche pour acheter de la camelote .» Calculer n’est pas ladrerie, mais perspicacité en vue des dépenses utiles. Certes il est présentement malaisé d’établir un budget, même celui d’une famille, Ici encore l’économie ne va pas à serre impitoyablement les cordons de la bourse, mais à ordonner sagement les dépenses, en rognant sur l’accessoire pour s’assurer le principal. Si j’avais voix au chapitre en cotte matière, je dirais au mari : « Donnez à votre femme un peu plus qu’elle ne vous demande », et à la femme : « Dépensez toujours moins que vous ne comptiez le faire. » Voilà qui rétablira l’équilibre et qui sauvegardera la paix du ménage.
Nous sommes bien loin de la religion, pensera quelqu’un.
Nullement, chers auditeurs. La parole de Notre-Seigneur que je citais tout à l’heure suffit à vous convaincre que nous n’avons pas quitté le terrain religieux.
La vertu d’économie, en effet, nous apprend à respecter l’œuvre de Dieu en reconnaissant le prix de tous les biens dont nous avons la jouissance. Qui peut dire à Dieu : Donnez-nous aujourd’hui notre pain, celui qui le gâche ou celui qui n’en veut rien perdre, parce qu’il en connaît la valeur ? Rappelez-vous sous quels traits Jésus nous a dépeint la pécheur. Il n’est pas allée chercher dans les bas-fonds de la société un criminel sordide. Il a mis en scène le fils cadet d’un cultivateur, qui dilapide stupidement la fortune lentement acquise par son père. Le prodigue, le dissipateur offensent Dieu, parce qu’ils méconnaissent le fruit du travail humain.
Pourquoi devons-nous administrer sagement les biens dont nous disposons ? Parce qu’il n’en est aucun que nous ne possédions sans le concours de nos semblables. C’est bien vous qui avez gagné le pain que vous mangez ; mais ce pain est aussi le travail des autres. Vous le devez au paysan qui a semé le blé, aux moissonneurs qui l’on fauché et engrangé, et au meunier qui l’a transformé en farine, et finalement au boulanger. Passez en revue tous les objets donc vous vous servez : ils attestent l’admirable collaboration des hommes, où chacun est au service des autres. Il s’ensuit que nous n’avons pas le droit de gaspiller. Dans une page magnifique où il condamne les hommes qui abusent de leurs richesse, le P. Graty s’interrompt pour prêcher le respect et l’estime de l’argent. « Qu’est-ce que donc que l’argent, écrit-il, et d’où vient-t-il? L’argent, c’est du travail accumulé, c’est du temps, c’est de la vie humaine, c’est du sang, es sueurs, des larmes. Voilà ce que vous tenez en vos mains. Vous n’avez pas le droit de le profaner. »
Oui, celui qui dépense à tort et à travers ne nuit pas seulement à ses propres intérêts, il fait du tort aux autres, en anéantissant ce qui pourrait, par conséquent ce qui doit servir à quelqu’un. Si l’Évangile nous commande l’économie, c’est avant tout pour augmenter nos moyens de venir en aide à des moins favorisés que nous.
Vus sous cet angle l’économie ne nous apparaît plus comme une petite vieille étriquée et regardante qui a toujours peur de manquer de tout et qui finit par rencontrer un aigrefin qui la dépouille. L’économie, je la vois au contraire comme une personne très soignée dans sa tenue et clairvoyante : on ne lui en fait pas accroire, mais il n’y en a pas deux comme elle pour dénicher les bonnes occasions. Elle s’arrange de ce qu’elle a , parce qu’elle est riche… de tous les besoins inutiles qu’elle ne s’est pas créés. Vous voit-elle dans l’embarras? Elle vous en tire bien vite, car ne laissant rien se perdre, elle a toujours de quoi donner.
Vous l’avez reconnue, chers auditeurs, elle n’est pas loin de vous. Je vous en félicite , votre foyer me manquera de rien.

La petite vertu d’exactitude

Plusieurs fois par jour, chers auditeurs, la Radio vous fait connaître l’heure « exacte » à une seconde près ! Dans le langage courant, dire de quelque, un qu’il est exact, c’est le louer d’être présent à l’heure convenue, Nous répétons que « l’exactitude est la politesse des rois ». Ce n’est là qu’un des sens de l’exactitude. Nous mot « exact » est la traduction d’un participe latin signifiant achevé, ou encore exécuté conformément à un modèle ou une règle donnés, ainsi qui parle –t-on d’une reproduction exacte ou d’un calcul exact. Un travail exact est fait avec soin, comme une narration objective et précise constitue un récit exact. Ce soin et cette précisons caractérisent l’homme ponctuel, lequel fait à pont nommé ce qu’il doit.
Si vaste st le domaine de la petite vertu d’exactitude dont j’ai à vous parler que je me bornerai ce matin à la considérer sous l’aspect de ponctualité, qui est d’ailleurs son acception la plus usitée.
Commet la ponctualité ne serait-elle pas une vertu, puisque son contraire, l’inexactitude , est un terrible défaut ? Que le repas ne soit pas servi quand tous les convives sont réussis, ou qu’il faille attendre un retardataire pour se mettre à table, il n’en faut pas plus pour charger d’électricité l’atmosphère du foyer. Sans doute il peut nous arrive occasionnellement doubler, l’heure, d’avoir mal mesuré notre temps, ou d’avoir été retardé par un incident imprévisible. On tolère une exception, en revanche les personnes habituellement en retard sont de véritables calamités. Avez-vous remarqué la place qu’occupe l’exactitude dans les paraboles de Évangile ? C’est l’histoire des cinq demoiselles d’honneur qui arrivent en retard à la salle des noces et qui trouvent la porte impitoyablement fermée, ou par contraste l’apologue des serviteurs qui guettent le retour de leur maître afin de lui ouvrir aussitôt qu’il frappera.
L’inexactitude implique un manquement à la charité et souvent à la justice envers le prochain. L’enfant qui ne rentre pas à l’heure dite cause parfois à sa mère une inquiétude qu’il devait lui épargner.
S,il est inconvenant de aire attendre un supérieur, fait attendre un inférieur est une désinvolture tous blessante. En tout cas, le retardataire fait perdre à ceux qui l’attendent un temps qu’ils auraient pu mieux utiliser. On rapporte du chevalier d’Aguesseau que des fantaisies domestiques condamnaient à des heures de repas irrégulières, qu’il trompait son impatience en écrivant ; il parvint ainsi, en attendant l’heure des repas, à composer un ouvrage important qu’il a dédia naturellement à sa femme ; aimable et juste vengeance. Tout le monde n’ayant pas cette ressource, il ne reste que celle de maudire le sans gêne des « chronographes » auxquels pensait cet homme d’affaires américain, qui fit paraître dans les journaux, à l’intention de ceux qui lui avait dérobé son temps, l’annonce suivante : « M.X… a perdue cette semaine deux heures en or, chacune de soixante minutes en diamants. On ne promet pas de récompense, car on ne les retrouvera jamais.»
Il entre dans l’inexactitude une forte dose d’égoïsme qui devrait nous donner à réfléchir. Et puisqu’il nous est si désagréable d’attendre, appliquons-nous à ne point faire attendre les autres. Ne pas faire attendre la maman qui surveille le cadran de l’horloge dans la crainte que le rôti ne soit trop cuit. Ne pas faire attendre le client qui voudrait entrer en possession de sa commande. Ne pas faire attendre le règlement de la note du fournisseur qui a besoin de son argent, Et généralement ne pas faire attendre le service promis. Un proverbe dit : « Qui donne vite, donne deux fois .»

Mais si le retardataire porte préjudice à ses semblables, il se cause un grand tort à lui-même. Ses inexactitudes sont la preuve qu’il est incapable de s’imposer une discipline, soit qu’il traîne et gaspille son temps, soit qu’il veuille faire plus de chose qu’il ne le peut. Il y a , en effet, deux sortes de retardataires, ceux qui ont toujours le temps, les flâneuses, et ceux qui sont toujours pressés, les essoufflés.
Or le temps est le plus précieuse des richesses que Dieu a mises à notre disposition et il nous demandera compte de l’usage que nous en aurons fait : il n’en faut donc rien perdre ; mais Dieu a fixé aussi le rythme du temps et nous devons en respecter la marche. Quelqu’un a dit : « Je n’ai pas le temps d’être pressé, » Rien, de plis juste. Si l’on prétend expédier en vingt minutes une besogne qui en réclame le double, le travail sera bâclé, l’ouvrage mal fait ; on devra le recommencer et, pour avoir voulu gagner du temps en allant trop vite, on se sera finalement mise en retard.
Nous seront exacts si nous évitons ces ceux travers. Et d’abord les pertes de temps. Vers la fin de son ministère, Notre-Seigneur fit cette réflexion devant ses apôtres : Il faut que j’accomplisse mon œuvre tant qu’il fait jour : la nuit venue, on ne peut plus travailler. Maître du temps, Jésus connaissait le prix des heures. A son exemple, prenons le temps au sérieux. Il est vrai que notre vie est courte : que de choses cependant on peut faire dans une vie d’homme, si l’on utilise exactement les journées ! Trop de gens, au lieu d’entreprendre tout de suite un ouvrage nécessaire, le remettent au lendemain en disant : « J’ai bien le temps. » Et quand , après quelques jours ils ne l’ont pas encore commencé, ils allèguent pour excuse, avec un parfait illogisme : « Je n’ai pas eu le temps. »
Je sais, chers auditeurs, que la plupart d’entre vous ont à fournir des heures de travail qui absorbent la meilleure part de leur activité. Toutefois, sans compter les jours de repos dont vous avez la libre dispositions, même dans les jours ouvrables il vous reste un peu de temps à vous. Mettez à profit le temps qui vous appartient. Sur son lit d’hôpital, Jacques d’Arnoux songeait : « Ta vie sera courte, il la faut pleine », et il priait ainsi ; « Mon Dieu, donne-moi l’exécration des minutes perdues. »
En ne perdant pas de temps, nous pouvons apprendre et faire beaucoup de choses et du même coup nous évitons la précipitation, cet autre ennemi de l’exactitude. Organisons nos journées sans les congestionner, en prévoyant même la part de l’imprévu. Le progrès nous joue de mauvais tours : à diviser le temps souvent le mécanisme précis de nos montres qui ignorent l’état du ciel, nous en sommes venue à ne plus distinguer encore le jour et la nuit. Le cultivateur, lui, règle sa journée sur le soleil et il compte avec les saisons, comme le pêcheur compte avec la lune et le mouvement des marées, restant en contact avec la nature, ils obéissent aux lois du Créateur : aussi leur travail est-il plus méthodiques et leur vie plus régulière, ils ne perdent pas de temps tout en prenant leur temps.
Sachons comme eux consulter la nature et prendre notre temps. Être prêts sans être pressés. Le surmenage et l’éparpillement nuisent à la qualité de l’action ; beaucoup croient agir quand ils ne font que s’agiter ; ils disent qu’ils abattent du travail, mais, triste retour des choses, l’excès de travail les abat à leur tour. Réservons-nous chaque jour des moments de détente ; ce ne sont pas de minutes perdues, surtout quand on les consacre à converser et à se divertir en famille.
Croyons à l’irremplaçable puissance du repos.
D’où vient qu’il y a tant de retardataires ? de ce qu’ils se lèvent à la dernière minute et ne peuvent plus ensuite rattraper le retard du matin. Et pourquoi se lèvent-ils en retard? Parce qu’ils se sont couché tard.

La petite vertu de diligence

Aujourd’hui, dimanche de la Septuagésime, le missel nous fait lire la parabole des ouvriers qu’un vigneron embauche à différentes heures de la journée. Sur le soir, il trouve encore aux abords dur souk des hommes inoccupés : Pourquoi, leur dit-il, restez-vous tout le jour à ne rien faite ? Cette question nous ramène au sujet que nous traitions dimanche dernier et que je désirerais compléter ce matin.
N’ayez crainte, mes chers auditeurs, je ne vous détaillerais pas les méfaits de l’oisiveté ; ce vice n’as pas cours parmi vous. À votre foyer, tut en vous délassant, vous ne restez pas inactifs, il y a toujours à bricoler pour le papa, à moins qu’il n’ouvre un livre ; la maman et les filles, quand elles ont fini de ranger la vaisselle, de vérifier l’état du linge t des vêtements, prennent leur ouvrage ou leur tricot. Cette vertu, traditionnelle dans les foyers chrétiens, porte un nom assez peu employé, je l’avoue, c’est la petite vertu de diligence.
Bon voilà votre garçon, qui pouffe de rire.
Une diligence, s’écrie-t-il, c’était, avant les chemins de fer, une grande voiture, attelée de plusieurs chevaux, qui servait au transport des voyageurs. Et puis, en route, il y avait des brigands qui attaquaient les diligences…
Très bien, mon garçon, tu es très savant ; tu sais aussi, je pense, que ce nom leur fut donné par ce que ces voitures allaient très vite pour l’époque naturellement, diligence étant synonyme de rapidité. Cependant, ce mot curieux a d’autres sens : il veut dire non seulement promptitude, mais aussi attention, activité joyeuse, et il vient d’un verbe latin qui signifie aimer. De tout cela il résulte que la vertu de diligence consiste à aimer son travail, `a le faire avec entrain, allégrement et de son mieux. Et pour la définir je vous renverrai volontiers à l’exclamation qui jaillit un jour de cent poitrines à l’adresse de Notre-Seigneur : « Il a bien fait toutes choses. » Pesez chacun de ces mots : vous y trouverez tout un programme.
Il a fait. Jésus faisait son œuvre. Le verbe « faire » est un des plus vagues qui soient, car on l’emploie à tout propos ; il a néanmoins originellement une signification précise. Faire, c’est produire, donner l’être ou donner une forme à ce qui existe, Dieu, vous ne l’ignorez pas, plaça Adam dans le jardin d’Eden pour qu’il l’entretînt par son travail. L’homme a été crée pour travailler, sa plus grande joie sera d’inventer dans son esprit, de fabriquer de ses mains, de produire une œuvre dans laquelle il incarnera sa pensée créatrice, Dieu nous charge de continuer sa création, qu’il a lassée volontairement inachevée. Au tour de l’homme d’embellir l’univers. Il n’éprouvera pas de plus grande fierté que celle de découvrir une des lois de la natures, d’en utiliser toutes les richesses, ou de composer un ouvrage qui lui survivra et qui marquera son passage sur la terre. Perdre son temps, quelle folie, quand le temps nous est accordé pour « faire » quelques chose !

Des pharisiens ayant reproché à Jésus d’avoir guérir un paralytique durant l abat qui devait être consacré au repos, le Sauveur leur réplique : Mon Père ne cesse jamais de travailler ; moi aussi je travaille. Comme Jésus, suivront le exemple du Créateur. Pendant le repos des nuits notre cerveau travaille quoique à notre insu, le repos que nous prenons dans la journée ne doit pas être du désœuvrement. Le repos n’est pas inaction mais diversion, c’est –à-dire changement dans le travail, la lecture instructive, ou distrayante pour celui dont les membres sont las, la culture d’un petit jardin pour l’employé d’aligner des chiffres, les travaux à l’aiguille pour la sténodactylo, et ainsi de suite. Ainsi, à la veillée, réunis sous le même éclairage, les membre de la famille s’adonnent chacun à l’occupation de son choix, dont ensuite il fera profiter les autres.
Mais ce que les compatriotes du Sauveur admiraient dans son activité, c’est qu’elle s’étendait à tout. « Il a bine fait toutes choses », déclaraient –ils Jésus ne négligeait rien de ce qui rentrait da sa mission, efforçons-nous de l’imiter dans cette ligne même, sans vouloir tout faire et tout faire par nous-mêmes ; nous n’y réussirons pas. Assurément et voyez en cela les indices de notre origine et de notre destinée divines nos désirs d’action sont illimités. Il nous plairait de tout voir, de tout apprendre, de pouvoir pratiquer toutes les professions. Hélas! Plusieurs existences n’y suffiraient pas. Mieux vaut ne connaître qu’une science et la bien connaître, réussir dans un art plutôt que j’être médiocre en plusieurs.
Ce qui importe, c’est d’être versé dans toues les connaissances qu’exige notre état, afin de bien remplir toues nos fonctions . Chère Mademoiselle, n’abusez pas de la lecture, apprenez de votre mère l’art difficile mais si nécessaire de la couture, aidez-la dans la préparation des repas. En mettant la main à la pâte, vous vous approvisionnerez de quelques bonnes recettes de cuisine, science plus modeste sans doute que celle dont il est question dans vos livres, mais votre mari appréciera la première contre plus que la seconde. De votre coté, les garçons, apprenez aussi à vous servir de vos doigts et à manier un peu tous les outils : que d’économies vous réaliserez plus tard si vous pouvez effectuer les menues réparations que nécessite l’entretien d’une maison ! Plusieurs fois j’ai eu le plaisir d’entendre des mères de familles dire avec une fierté bien légitime : « Mon mari, il sait tout faire » et des maris vanter leur femme : « Elle a des doigts de fée. » Pour mérite de pareils compliments, il ne faut ni omette les travaux pour lesquels vous éprouvez un peu de répugnance, ni inventer des devoirs supplémentaires que vous feraient négliger vos devoirs réels.
Enfin, chers auditeurs, accomplissons toutes nos tâches de notre mieux, afin de ressembler entièrement à Jésus qui a bien fait toutes choses. Se débarrasser d’une besogne n’est pas digne d’un homme qui se respecte, et ceux à qui on présente un travail qui n’est « ni fait ni à faire » sont e droit de penser qu’on les estime peu. Quelque œuvre qu’on entreprenne, il faut vouloir qu’elle soit belle. Remarquez l’attention de l’ouvrier consciencieux pensé sur son tour ou sur son établie ; observez le soin méticuleux de l’artisan qui corrige les moindres imperfections de l’objet qu’il façonne, il le caresse de la main comme s’il agissait d’un être vivant ; rappelez-vous le conseil donné par Boileau à l’écrivain :
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez.

Je me rappelle un cordonnier me montrant le soulier qu’il exécutait et me disant : « Notre métier est un art. » Voilà des créateurs.
Le vrai travailleur ne se préoccupe pas d’avoir fini au plus tôt, il se soucie de produire une œuvre qui soit « finie», sans défaut, et aussi parfaite que possible. Les statues qui décorent les portails de nos cathédrales sont aussi soignées dans la partie adossée aux murs que sur la face tournée vers le public ; les sculpteurs inconnus auxquels nous les devons se seraient crus déshonorés si même ce qui ne se voit pas n’avait pas été entièrement « fini ». N’abandonnons un ouvrage que lorsqu’il n’y a plus un seul détail `a y retoucher. L’œuvre bienfait, même la plus modeste, doit être traitée avec l’ambition et la délicatesse qu’on apporterait à terminer un chef-d’œuvre. Il y a étalement une façon de draper une étoffe, de disposer des fleurs dans un vase, ou de présenter un plat sur la tale, comme il y a une manière de suspendre un tableau à la muraille ou de fixer une tablette qui portera la signature du bon faiseur, tout autant que les objets de luxe. Croyez-le, le vrai luxe d’une maison est fait du soin avec lequel tous s’efforcent d’y bien faire touts choses.
Mozart, dont la carrière fut à la fois si courte t si remplie, composa dans les dernières semaines de sa vie son célèbre Requiem. Le jour même de sa mort, il dit à sa fille : ma tâche est terminée, le Requiem, et se reprenant avec intention mon Requiem est achevé », puis, tendant à son enfant les derniers feuillets qu’il venait d’écrire, il la pria de se mettre au clavecin. Et sur les derniers accords de son ultime chef-d’œuvre, Mozart mourut, un sourire sur les lèvres. Heureux ceux qui peuvent s’en aller vers le grand repos, avec la conscience d’avoir accompli et bien accompli l’œuvre de leur vie.

La petite vertu de patience

Pendant l’été, sur les routes qui traversent les forêts on voit des écriteaux recommandant aux promeneurs de ne pas jeter d’allumettes sans avoir pris la précaution de les éteindre. Une toute petite flamme, en effet, peut provoquer, immenses incendies. Voulez-vous aussi, mes chers auditeurs, épargner à votre foyer les catastrophes causées par des disputes sans fin, mettez le pied sur l’allumette qui s’enflamme, je veux dire réprimez toute suite la mouvement d’impatience qui vous ferait prononcer une parole malheureuse ou accomplir un geste maladroit.
Vous me répondez que le propre de l’impatience est justement de n’être pas réfléchie. Une fois lâché le mot qu’il ne fallait pas dire, impossible de le rattraper. La riposte ne s’est pas fait attendre, elle était violente ou injuste. Vous avez répliqué. Et des époux, des parents, des enfants vont se causer mutuellement de la peine en s’assenant des choses désagréables qui dépassent leur pensées et ne correspondent pas à leurs véritables sentiments. Tout cela à cause d’une légère impatience.
N’existe –t-il pas une petite vertu de patience capable de devancer ou de dominer ce bref accès de colère injustifié et inutile? Oui, et elle formera l’objet de cette causerie, car, pour c qui est de la grande vertu de patience, celle qui nous permit de supporter les maladies, d’affronter les épreuves, de venir à bout d’ouvrage difficile, nous l’observons généralement, quoiqu’elle réclame des efforts coûteux et prolongés. Mais on s’emporte à propos d’une simple contrariété, on s’irrite d’un contretemps, on fait une scène pour une maladresse ; C’est pourtant dans ces menus incidents de la vie quotidienne qu’il faut user, de patience. Je commencerai toutefois par répéter au sujet de cette vertu l’avertissement commercial bien bonne ; « Méfiez-vous des contrefaçons . » Il y a des abus et des injustices contre lesquels on a le devoir de protester : les supporter ne serait pas une preuve de patience, mais un signe d’apathie, sinon de lâcheté.
Nul ne doit attenter à votre dignité. Vous savez comme moi que certains maris autoritaires sont devenus d’inqualifiables tyrans par ce que leur femme s’est pliés inconsidérément à leurs prétentions les moins raisonnables ; elle aurait eu raison du despotisme masculin si, au première manque d’égards, elle avait eu la fermeté d’exiger le respect qui lui était dû. C’est souvent un devoir de charité que de ne pas supporter un travers, apparemment inoffensif, et qui avec le temps engendre des défauts intolérables. Ainsi des maris trop faibles ont d’abord subi en silences les caprices d’une jeune épouse un peu désordonnées ; puis ils en ont été agacés, et maintenant ils explosent à se moindres exigences. Combien de parents regrettent d’avoir supporté les impertinences d’un moutard, que son père déclarait malin comme un singe, oui les incartades du jeune désobéissant à qui sa mère passait tout pour éviter qu’il ne la boude !Aujourd’hui l’enfant mal élevé fait leur désespoir.
Vous devez vous opposer au mal, fût-ce avec la dernière énergie. La colère est un péché, quand elle éclate sans motif raisonnable, ou si, dans ce cas, on lui laisse un cours déréglé ; en revanche, il y a des colères ou, si vous préférez , des indignations légitimes, nécessaires même : celles-là sont inspirées, non par le désir de soutenir nos opinions ou nos intérêts personnels, mais par l’obligation de défendre la vérité ou la justice, de condamner ou d’empêcher le mal. Jésus n,a pas cédé à l’impatience quand il a chassa à coups de cordes les vendeurs du Temple, il a seulement voulu faire respecter les droits de Dieu et protéger les pèlerins contre l’envahissement abusif des marchands.

Quel est alors le vrais visage de la patience, si elle n’a pas à supporter le mal? Elle nous fait supporter l’erreur, la contradiction, la gêne et, d’une manière générale, touts les contrariétés qui nous viennent les hommes et des choses. Être patient, c’est conserver l’empire sur soi-même. Les êtres susceptibles ou violents ne se possèdent pas. Si leurs vivacités ou leurs emportements ne sont pas occasionnés par une déficience physique, ils sont l’indice d’une faiblesse de la volonté. La force se manifeste dans la maîtrise de soi ; mais celle-ci ne nous est pas naturelle ; nous devons en faire, l’apprentissage. On acquiert la patience de deux façons : grâce à des convictions et à des exercices.
Des convictions d’abord. Puisque le plus souvent nos impatiences précèdent toute réflexion, il importe d’entretenir en nous un état d’esprit qui facilite le contrôle de nos premiers mouvements.
Aux personnes religieuse je conseillerai un moyen très efficace. Il consiste à actualiser souvent la présence de Dieu. En elle-même cette habitude est excellence, car, si rapide que soit une élévations de l’esprit vers Dieu, elle constitue une prière d’adoration ; par contre-coup, elle nous place dans une sérénité qui amortit le choc inattendu des contrariétés. Au lieu de perdre patience parce que nos plans sont subitement renversés, si, selon le conseil de Pascal, nous considérons le événements comme « des maîtres que Dieu nous donne de sa main », nous modifions aussitôt nos projets pour faire face à la difficulté qui surgit.
A tous du moins je recommanderai ; « Appliquez-vous à penser aux autres avant de penser à vous, et vous réprimerez bien des mouvements d’impatience. Dites-vous ; ceux que j’aime ont leurs manies et leurs travers qui m’agacent ; celui-ci me ressasse dix fois la même chose, à moins que ce ne soit lui qui m’oblige à renouveler les mêmes observations ; celui-là m’interrompt quand j’ai besoin de donner mon attention à mon travail.
N’y a-t-il pas de quoi sortir de ses gonds ? Mais ceux qui m’entourent ont aussi leurs soucis et leurs ennuis, et peut-être aussi graves que les miens. Qui sait si, au moment où ils me dérangeant, ils n’ont pas plus besoin de moi que je n’ai besoin de ma tranquillité? Pourquoi vivons-nous ensemble si ce n’est pour nous entraider ? Saint Paul qui a trouvé les accents du plus haut lyrisme pur louer la charité, quand il descend aux conseils pratiques, écrit tout bonnement : Supportez-vous les uns les autres. Ne suis-je pas quelquefois insupportable moi-même ? Allons, Si je pensais moins souvent à moi et plus souvent aux autres, je me montrerais plus patients.»
Ayant ainsi créé notre climat spirituel, adoptons deux exercices d’usage quotidien. Nous serons patients si nous savons nous taire et si nous savons attendre.
Afin d’apprendre à nous taire lorsqu’il n’est pas expédient de parler, appliquons-nous en tout temps à ne pas parler trop tôt. Laissons les autres achever d’exprimer leurs pensées sans leur couper la parole ; prenons ensuite quelques instants avant de leur répondre. Cette habitude une fois acquise nous gardera des reparties précipitées. Puisqu’il faut être deux pour se disputer, la sagesse est de n’être pas le second. Ne répondez pas tout de suite à celui qui s’impatiente ni à celle qui vous impatiente. Une observation ne prote, une explication ne persuade que si le s’interlocuteurs ne sont pas irrités. Il se peut que vous ayez le devoir de parler ou de vous justifier, mais attendez. Le cultivateur ne sème pas son blé par un jour de tempête. Vous parlerez ce soir, ou demain, quand le calme sera rétabli. Remettez au lendemain ce qui serait mal fait aujourd’hui.

La patience nous demande de savoir attendre. Accoutumons-nous donc à ne pas exiger, et même à ne pas donner une satisfaction immédiate à tous nos désirs. Encore un exercice salutaire. N’est-ce pas, Madame, que si votre mari vous presse de lui recoudre un bouton, vous ne parviendrez pas à enfiler l’aiguille ? Et vous vous impatienterez tous les deux. Pourquoi votre grand fils qui, en s’habillant, a trouvé son cordon de soulier noué, pousse-t-il tant de soupirs, à moins que ce ne soient des cris de sauvage ? Il tire sur le lacet, ce qui resserre le nœud ; finalement, il le tranche d’un coup de canif. Conseillez-lui pour la prochaine fois de chanter un air gai, toute en desserrant tranquillement le nœud malencontreux ; il fera ainsi une double économie : celle du lacet et celle de sa colère.
Chers auditeurs, je crains de dépasser l’heure, je reviendrai là-dessus dimanche prochain, vous laissant ce matin sur ce proverbe : « Patience passe science » Pour mener à bien un travail, ou l’éducation des enfants ou vos relations familiales, il ne suffit pas de « savoir », il faut encore et bien plus être patient.

La petite vertu de persévérance

En terminant aujourd’hui, mes chers auditeurs, nos causeries sur les petites vertus du foyer, je désire remercier ceux d’ente vous dont les lettres m’ont encouragé. Il m’est très agréable de savoir que nos vieux conseils de sagesse chrétienne ont trouvé un écho dans vos cœurs, cependant ces petites vertus qui contribuent tellement au bonheur de la famille réclament de votre part, en outre d’une attention de tous les instants, une application continuelle de la volonté. Elles ont toutes besoin pour arriver à maturité du concours d’une petite vertu complémentaire. De son nom propre, elle s’appelle la constance ; dans le langage courant, on dit plus volontiers la persévérance. Ne chicanons pas sur les mots, l’important est que dans la poursuite de l’idéal chrétien, vous soyez décidés à vouloir toujours et à recommencer chaque jour.
Lorsque la ténacité s’exerce à propos de l’erreur ou du mal, elle n’est qu’entêtement, obstination, opiniâtreté ; elle devient persévérance dès que son objet est le bien ; du moins le sujet y déploie-t-il la même énergie à triompher de tous les obstacles parce que sa volonté ne change point. Sous la forme imagée qui lui était familière, Notre-Seigneur impose cette condition d’une volonté immuable à quiconque entend vivre selon d’Évangile : ‘’ Après avoir mis la main à la charrue, disait-il, qu’on ne regarde pas en arrière !
Quel laboureur contreviendrait, à cette règle ? S’il négligeait de regarder devant lui, le sillon qu’il creuse s’écarterait de la ligne droite. Mais tandis que, les mains à la charrue, il n’a pas l’idée de retourner la tête, l’homme engagé dans l’œuvre de son perfectionnement moral, est tenté de regarder en arrière pour considérer le chemin qu’il a déjà parcouru. Soit qu’il se complaise dans les premiers résultats acquis et en prenne prétexte pour s’arrêter, soit au contraire qu’effrayé de la longue distance qui le sépare encore du terme à atteindre, il en vienne à regretter ses efforts antérieurs dont il s’estime lien suffisamment rétribué, dans les deux cas, le chrétien ne doit pas céder à la fatigue que tout homme éprouve à progresser dans la vertu. Il lui faut le mot est de saint François de Sales « un cœur longue haleine ».
Nous retrouvons ici la nécessité de la patience dont nous parlions dimanche dernier. Les grands desseins ne se réalisent pas en un jour. A vrai dire, aucune œuvre durable ne se peut accomplir sans l’aide du temps qui en respecte pas ce qu’on a prétendue faire sans lui. Ne nous laissons pas décourager par la lecteur des résultats. N’imitions pas le petite enfant qui, après avoir semé des graines dans un coin du jardin. S’impatiente de ne pas avoir l’herbe apparaître et croit lui livrer passage en déplaçant un peu de terre avec son doigt, alors qu’il la condamne à mourir à peine sortie du germe. Ce n’es pas du jour au lendemain qu’on devient vertueux, et encore moins un saint ; pareille entreprise requiert le travail ininterrompu de nombreuses années. Sachons attendre.

Il y a plus. Quand on s’est mis à l’école de Jésus-Christ, ce Maître si bon nous entraînes plus loin et plus haut que nous ne le soupçonnions au départ. En dépit des étapes déjà franchies, vous avez bientôt l’impression d’être toujours aussi loin du but. Autre tentation de découragement. Repoussez-la vite, car cette constatation devrait plutôt vous encourager. Lorsque vous découvrez que le terme de la perfection est plus loin que vous ne l’aviez supposé, c’est une preuve que vous avancez. En réalité, vous ne vous contentez plus d’une vertu médiocre, ce un signe manifeste de progrès. Parle fait même que vous vous élevez dans le bien, vous placez de plus sen plus haut votre idéal. Et n’est-il pas vrai que la pente se fait d’autant plus rude qu’on approche de la cime ? Mgr. d’Hust comparait la marche dans la voie de la vertu à une course en montagne : « Ce qui de loin paraissait un massif unique, assez facile à gravir, se décompose à mesure qu’on avance en une série croissante de dents et des vallées qu’il faut monter et descendre au prix de fatigues croissantes aussi. Cependant, on finit par atteindre le vrai sommet. »
Un troisième cause de découragement provient des fautes où il nous arrive de tomber malgré nos résolutions les plus généreuses. L’humiliation que ces échecs infligent à notre amour-propre nous donne envie de tout planter là. Saint François de Sales nous conseille alors, non point « d’être ébahis de nous voir à terre, mais de nous étonner comment nous pouvons demeurer debout ». Nos insuccès peuvent au moins nous faire progresser dans l’humilité. Le même Saint raille doucement les chrétiens qui, en se décourageant, ne font que multiplier leurs fautes. « J’en ai connu plusieurs, écrit-il, qui s’étant mis en colère sont ensuite en colère de s’être mis en colère…, puis se fâchent de s’être fâchés de la fâcherie. Tout cela ressemble aux cercles qui se font dans l’eau quand on y a jeté une pierre : il se fait un cercle petit, et celui-là en fait un plus grand et cet autre un autres. »
Vouloir toujours, cela veut dire vouloir quand même. Le progrès s’inscrit rarement comme une ligne droite toujours ascendante, mais plutôt comme une ligne sinueuse, avec se hauts et ses bas, et qui au total s’élève insensiblement. La persévérance s’accommode de nos rechutes, pourvu que nous retrouvions notre courage un instant défaillant. Persévérer n’implique pas qu’on ne tombe jamais, mais qu’on se relève toujours.
C’est pourquoi je vous proposais un second conseil : recommencer chaque jour. Nous avons entendu précédemment la recommandation que Jésus nous a faite de vivre au jour le jour, sûr moyen de ne pas regarder en arrière et à la fois de ne pas nous troubler des difficultés du lendemain. Reprenez tous les jours la résolution de pratiquer celle des petites vertus du foyer que vous avez plus de peine à observer.
La philosophe catholique Léon Ollé- Laprune a écrit : « L’enfant qui veut chaque soir se trouver plus loin qu’il n’était le matin, sera bien vite un homme. » Nous autres adultes, pouvons faire une expérience analogue, en nous fixant pour chaque jour un effort nouveau, nous progression à notre insu. Chaque jour nos pouvons faire un peu mieux : c’est dans ce petit peu de chaque jour que rédie le progrès. Pour arriver à destination, avancer pas à pas vaut mieux que de faire de grandes en jambées qui nous essoufflent et nous contraignent à nous asseoir. Rappelez-vous le lièvre et la tortue de la fable. Puisque j’invoque l’autorité de La Fontaine, ne nous donne-t-il pas encore une bonne description du progrès quotidien lorsqu’il nous montre le renard répétant les leçons de son maître, le loup ?

D’abord il s’y prit mal, puis un peu mieux, puis bien, puis enfin il n’y manqua rien.
Cependant le chrétien possède un dernier motif, qui est en même temps le dernier secret de la persévérance. Qui donc, chers auditeurs, met en nos ces désirs d’être bons et de devenir meilleurs, quand il serait au fond si agréable de se laisser vivre au lieu de surveiller et de faire effort ? N’est ce pas Notre-Seigneur qui nous dit intérieurement : « Suis-moi» ? Et parce que nous l’aimons, nous ne pouvons pas rester à sourds à son appel. Or, saint Paul précise que Dieu opère en nous le vouloir et le faire. Dieu auteur des tous nos désirs du bien, ne nos les inspirerait pas si nous n’étions capables d’y répondre et si sa grâce ne devait nous aider à exécuter ce qui dépasse normalement nos forces. Dieu peut faire en nous, dit-il encore, infiniment ou delà de ce que nous lui demandons et de ce que nos pouvons même concevoir.
Recommencez chaque jour, les yeux fixés sur Jésus notre modèle et notre secours. C’est lui qui récompensera celui qui aura persévéré jusqu’à la fin. Que dit –il aux serviteurs courageux de la parabole ? C’est bien bon et fidèle serviteur. Ont-ils accomplie des exploits ? Il n’y paraît guère, car il dit à chacun d’eux : Tu as été fidèle dans de petites choses. Ne s’agit-il pas ici de vous, qui vous serez exercés aux petites vertus : Tu as été fidèle dans de petites choses. Ne s’agit-il pas ici de vous, qui vous serez exercés aux petites vertus du foyer, par de petites efforts et au prix de petits sacrifices quotidiens ? Quelle sera votre récompense ? Entre dans la joie de ton Maître. Dans la joie définitive, nous l’espérons bien, mais dès maintenant la joie sera la réponse divine à votre bonne volonté. Est-il joie plus douce que celle d’avoir été bon? Vous pouvez la connaître : elle est le prix immédiat des petits progrès de chaque jour.