lundi 5 avril 2010

La "liberté religieuse".

Les Catholiques n’ont pas de mémoire.

Fas est ab hoste doceri

Les anciens disaient qu’il est profitable de se faire enseigner par ses ennemis. Comme il est énoncé dans l’Évangile [Luc. XVI, 8], les enfants de ce monde sont plus habiles en leur mondanité que les fils de lumière ne le sont dans le service de Dieu : Les ennemis de l’Église sont souvent plus lucides que les catholiques sur ce qui constitue les fondements de la société chrétienne, et ils savent ainsi où porter le fer pour détruire la chrétienté et perdre les âmes.

Depuis que l’Église catholique est sortie des catacombes, et qu’elle exerce donc une influence directe sur la société temporelle pour y prêcher et y établir la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la lutte que mène le monde contre ce règne de vérité et de salut a pris un caractère beaucoup plus insidieux qu’auparavant : avant de tenter d’anéantir le catholicisme dans le sang des chrétiens, on cherche à l’avilir et à le dénaturer.

L’archétype de cette nouvelle race de persécuteurs restera à jamais Julien l’Apostat. Ce prince a secrètement apostasié à l’âge de vingt ans (en 351) et ne révèle sa défection qu’au moment de son accession au trône impérial (décembre 361). Dès lors, il pratique ouvertement et quotidiennement les rites du paganisme, jusqu’à ce qu’il succombe à la bataille de Ctésiphon, le 26 juin 363. Son règne ne dure donc qu’une vingtaine de mois, mais durant ce bref laps de temps, il entreprend une lutte sans merci contre l’Église et contre la société chrétienne.

Cette lutte, il la mène en trois étapes – et c’est en cela qu’il est le modèle (si l’on peut dire) des persécuteurs : d’abord la liberté religieuse (édit de tolérance pour réhabiliter les faux dieux et humilier l’Église), puis les lois scolaires (pour exclure de l’école impériale les professeurs chrétiens, et éduquer le peuple dans un paganisme meurtrier), et enfin la persécution ouverte.

Dans la suite de l’histoire, ce diagramme proprement diabolique se renouvellera souvent : pourquoi Satan – qui, de toutes les façons, n’a pas d’imagination – changerait-il de tactique, puisque celle-ci est efficace. En nos tristes temps, il a simplement perfectionné son affaire en confiant la première étape (au moins) du processus haineux à ceux-là mêmes qu’il veut détruire.

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Chaque fois que l’État révolutionnaire « concède » l’existence aux institutions catholiques (ce qu’il prétend être maître de faire ou non), c’est moyennant l’obligation de pratiquer voire de proclamer la liberté religieuse. Ainsi la restauration de la monarchie française, après la décennie de terreur révolutionnaire et la sanglante aventure bonapartiste.

Lorsque la chute de Napoléon est consommée, les sénateurs élaborent dans la nuit du 6 au 7 avril 1814 une constitution, surnommée « constitution des rentes », pour « au nom du peuple français » rappeler « librement au trône de France » le frère du dernier roi – auquel on ne reconnaît ainsi aucun titre à régner, si ce n’est celui d’être appelé par la nation souveraine.

Cette constitution sénatoriale énonce en son article 22 : « La liberté des cultes et des consciences est garantie. Les ministres des cultes sont également traités et protégés ». Le texte en est porté au Pape Pie VII, qui la déplore et la condamne dans la Lettre apostolique Post tam diuturnas du 29 avril 1814.

Louis XVIII prend connaissance de cette condamnation, que le Pape lui fait signifier personnellement. Mais, en fidèle héritier du gallicanisme, il se montre beaucoup plus préoccupé de son propre pouvoir que du règne de Jésus-Christ et de son Église. C’est ainsi qu’il refuse la constitution sénatoriale au nom de la prérogative royale, mais que le 4 juin 1814 il octroie la Charte qui, en son article 5, brave la condamnation pontificale : « Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection ». Voilà pourquoi la Restauration n’a rien restauré du tout.

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Ainsi encore la loi scolaire française n° 59-1557 du 31 décembre 1959, dite loi Debré : elle institue les contrats entre l’enseignement privé (essentiellement l’enseignement catholique) et l’État, et stipule dès son premier article :
« Suivant les principes définis dans la Constitution, l’État assure aux enfants et aux adolescents, dans les établissements publics d’enseignement conforme à leurs aptitudes, dans respect de toutes les croyances.

« L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts.
« Il prend toutes les dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse.
« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance, y ont accès. »
Hélas, les temps ont changé : l’autorité ne condamne plus et laisse les catholiques s’engouffrer dans ce leurre où l’enseignement catholique perd, par appât du gain, son âme et sa raison d’être.

Certes, on peut dire en un sens que le gain est légitime puisqu’il n’est que la récupération de ce que l’État prélève injustement sur les familles en vue de l’éducation des enfants qui ne lui appartiennent pas. Mais l’État laïc (c’est-à-dire antichrétien) sait ce qu’il fait en demandant une telle contrepartie : lui, qui est déjà le maître de l’enseignement par le monopole des diplômes, le devient davantage encore par le biais des programmes, et par la maîtrise des salaires et des investissements.

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Les ennemis de l’Église savent donc où frapper pour dissoudre petit à petit la société chrétienne et pour ronger la foi des catholiques sans que ceux-ci ne s’en aperçoivent trop rapidement. Ils savent en outre que s’ils arrivent à faire admettre un droit à ladite liberté religieuse, c’est l’ordre moral tout entier qui reçoit un coup mortel à plus ou moins long terme, puisqu’on fait admettre qu’un droit puisse avoir un objet mauvais.

Quel triomphe pour eux que la proclamation de ce pseudo-droit à Vatican II. Ainsi, ce concile à jamais funeste enseigne implicitement que la société humaine, dont Dieu est l’auteur, n’est pas tout entière ordonnée à sa Gloire, à son règne, au salut éternel des âmes.

Ce triomphe, Fidel Castro l’exprime clairement lorsqu’il reçoit Jean-Paul II à La Havane, le 25 janvier 1998 :
« Votre Sainteté, nous partageons votre point de vue sur de nombreuses questions importantes du monde actuel, et cela est pour nous un motif de grande satisfaction. (...) Nous connaissons les efforts de Votre Sainteté pour prêcher et mettre en pratique les sentiments de respect que vous nourrissez envers les croyants des autres religions importantes et influentes qui se sont diffusées dans le monde ».
À l’expression ce triomphe, la réponse de Jean-Paul II est autant prévisible que lamentable :
« Un État moderne ne peut pas faire de l’athéisme ou de la religion un de ses fondements politiques. L’État, loin de tout fanatisme ou sécularisme extrémiste, doit promouvoir un climat social serein et une législation appropriée qui permette à chaque personne et à chaque confession religieuse de vivre librement sa foi, de l’exprimer dans les domaines de la vie publique et de compter sur des moyens et des lieux suffisant pour apporter les richesse spirituelles, morales et civiles à la vie du pays [Homélie à La Havane, le 25 janvier 1998. DC 2177 du premier mars 1998, pages 230-231].

Qui ne pleurerait en voyant ainsi la religion de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, renvoyée dos à dos avec les fausses religions et l’athéisme ? Il n’y a là rien d’autre que blasphème et apostasie sociale. L’Évangile de Jean-Paul II n’est décidément pas celui où Jésus-Christ proclame « qui n’est pas avec moi est contre moi ».

Pour un temps, c’est Julien l’Apostat qui triomphe. Jusques à quand, Seigneur ?

Abbé Belmont