mercredi 3 février 2010

Les soixante douze nations.

L’épisode de la Tour de Babel va retenir un moment notre attention. A notre époque où l’on parle tant de la république universelle et où l’on assiste aux premières phases de sa réalisation, il est bon de revoir dans quelles circonstances Dieu a procédé à la distinction des langues et à la dispersion des Nations.

Transportons-nous par la pensée dans les temps qui suivirent le déluge. Les trois grands embranchements ethniques du genre humain étaient déjà distincts. Il s’était déjà formé trois grandes races qui avaient respectivement pour ancêtre Sem, Cham et
Japheth, les trois fils de Noé. Chacun engendra des fils qui devinrent les patriarches des nations. Il y eut en tout soixante-douze patriarches, donc soixante-douze familles, souches des soixante-douze futures nations. Ces tribus originelles étaient distinctes mais elles n’étaient pas dispersées. Elles s’étaient établies ensemble dans la plaine du pays de Sennaar. La langue de ces tribus était la même : « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots » (Gen. XI, 1).

Il devenait de plus en plus évident que, les tribus proliférant, il faudrait qu’elles se dispersent. C’est même la perspective de cette dispersion inévitable qui suggéra aux hommes de ce temps l’idée d’élever un monument commémoratif de leur unité primitive « avant que nous ne soyons dispersés sur toute la terre » (antequam dividamur in universas terras) (Gen. XI, 4). Cette idée d’un monument pour perpétuer le souvenir de l’unité originelle n’est pas répréhensible, elle est même louable ; mais elle s’est mêlée avec d’autres conceptions que Dieu n’a pas approuvées.
Passons sur les modalités et les techniques de constructions de la tour. Les maçons de Babel utilisèrent des briques à la place de pierres et du bitume à la place de ciment. Le symbolisme de ces nouveaux matériaux nous entraînerait trop loin.
L’Écriture sainte formule les intentions qui sont incluses dans le « grand dessein » des hommes d’alors, avec la concision qui lui est habituelle. Il faut donc peser tous les mots : « Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel et célébrons notre nom ». Un trait nous frappe tout de suite : Dieu n’est pas mentionné dans les intentions du projet. Il est dit « construisons-nous ». Le but de l’entreprise est de « célébrer le nom humain ». Les hommes de Babel avaient incontestablement l’intention de se rendre un culte à eux-mêmes. Et si la tour atteignait le ciel, c’était grâce aux seules forces humaines.
Ils voulaient célébrer et sauvegarder leur unité et cela par une ville capitale et par une tour religieuse qui symboliserait l’aptitude de l’homme à s’élever vers Dieu par ses propres forces.

La conduite de Dieu, en présence de ce projet, confirme les premières réflexions que
nous venons de nous faire. Le texte dit que Dieu, en la circonstance, observa « les fils d’Adam » ; il n’écrit pas « les fils de Noé ». Il nous suggère donc de remonter jusqu’à Adam, qui avait été Roi et Pontife, mais qui avait perdu ces deux dignités.
Les versets de la Genèse, très condensés, n’expliquent pas la pensée divine. Il faut que le lecteur découvre lui-même en quoi le projet des hommes de Babel était mauvais. Dieu dit : « Ils sont un seul peuple et ils ont une seule langue ; ils ont commencé à faire cela et ils n’abandonneront pas leur pensée tant qu’ils n’auront pas fini leur oeuvre…
Confondons ici leur langue afin qu’ils ne se comprennent plus. » (Gen. XI, 6-7).

Il est évident que Dieu juge inadmissible la ville et la tour édifiées dans de telles intentions, par « les fils d’Adam ». Il y a manifestement une certaine unité du genre humain dont Dieu ne veut pas : c’est l’unité qui se fait sans Lui.
Il est un second motif de désapprobation : ce qui déplaît à Dieu ce n’est pas seulement la tour religieuse, c’est aussi la ville capitale du genre humain. Dieu, en effet, ne considère pas seulement la tour mais la ville elle-même (ut videret civitatem et turrim). Et l’on comprend très bien pourquoi : depuis la chute d’Adam, l’autorité unique sur le monde revient, soit à Dieu qui en est le premier titulaire, soit au démon qui a détrôné Adam et s’est, d’une certaine manière, substitué à lui dans ses droits. En d’autres termes, l’autorité unique sur la terre revient, soit au Christ, soit à l’Antéchrist. C’est sans doute pourquoi le texte fait remarquer que les hommes de Babel étaient « fils d’Adam ». Pour prétendre édifier une capitale mondiale, il fallait qu’ils aient perdu la notion de la chute originelle et le désir d’un Sauveur.
Le décret divin de Babel est donc un décret de confusion, ce qui, à première vue nous étonne. Mais il faut remarquer qu’il s’agit d’une confusion et d’une dispersion provisoire en attendant que le temps de l’unité soit venu et qu’il y ait « un seul troupeau et un seul pasteur ». C’est aussi une dispersion de miséricorde : en effet l’édification d’une capitale mondiale aurait immanquablement entraîné l’apparition d’un « empereur mondial », qui n’aurait pu être qu’un antéchrist, sous lequel les hommes auraient vécu depuis lors. Le « décret de confusion » de Babel leur a épargné un long despotisme.
Un personnage est inséparablement lié à l’épisode de Babel, c’est Nemrod. L’Écriture en fait grand cas : seul, parmi les descendants de Cham, il fait l’objet de plusieurs versets dans la Genèse : « Or Chus engendra Nemrod qui fut le premier homme puissant sur la terre [...] Le début de son royaume fut Babylone, et Arach, et Achad, et Chalanné dans la terre de Sennaar. De ce même pays il alla en Assyrie et i bâtit Ninive et les rues de cette ville, et Chalé. Il bâtit aussi la grande ville de Résen, entre Ninive et Chalé". (Gen. X, 8-12).
Nemrod fut donc le fondateur de la puissance mauvaise de ASSUR, colosse qui devait faire peser, sur le peuple élu d’Israël, une perpétuelle menace dont seul Dieu pouvait le libérer. Nemrod est ainsi la première préfiguration de l’Antéchrist et il est symptomatique qu’il apparaisse précisément à l’époque de Babel et dans la plaine de Sennaar.
Il est certain que Dieu a volontairement confondu les langues et dispersé les nations afin d’entraver la constitution d’un gouvernement mondial. Il a délibérément voulu une « gentilité » fractionnée. L’empire du monde n’appartient qu’à deux personnages : le Christ ou l’Antéchrist, bien qu’à des titres antagonistes. C’est évidemment très mystérieux ; mais la Rédemption est un mystère. Les X et XIe chapitres de la Genèse énumèrent les soixante-douze ethnarques qui devaient fonder les soixante-douze nations constitutives de la Gentilité. Or Notre-Seigneur, pendant Sa vie terrestre, à plusieurs millénaires de distance, a précisément désigné soixante-douze disciples ; ils étaient destinés à seconder saint Paul dans le surhumain travail d’évangélisation des Gentils. Les12 Apôtres étaient réservés aux 12 Tribus d’Israël. Les jalons essentiels du plan de Dieu ne changent pas.

Jean Vaquié