mercredi 3 février 2010

Les Cristeros.

Les Cristeros sont ces paysans mexicains qui ont pris les armes de 1926 à 1929 – et de nouveau en 1935 – pour défendre leur foi contre un gouvernement athée et violemment anti-religieux.

En 1911, se termine au Mexique une période relativement paisible de 40 ans, qui a permis à l’Eglise de se développer et de s’implanter plus solidement dans un pays où la foi catholique était déjà très enracinée, tant chez les Indiens que chez les métis et les Blancs. Les ordres religieux sont florissants. Mais surtout arrivent des générations de laïcs très dynamiques, organisés, actifs, qui créent des structures chrétiennes dans beaucoup de secteurs : Presse, action sociale, syndicats ; un projet de réforme agraire est même élaboré. Dans les campagnes, qui représentent les 2/3 des 15 millions d’habitants, les paroisses se multiplient, et la foi est au centre de la vie quotidienne, par le rosaire, la messe, et naturellement le curé. Le Mexique est très attaché à sa patronne, N-D de Guadalupe. En Janvier 1914, les évêques consacrent le pays au Christ-Roi.
Face à cette population, s’est développée une bourgeoisie d’affaire, très marquée par le positivisme d’Auguste Conte, et qui s’est donné pour devise : « Ordre et progrès ». Le syndicalisme socialiste s’est implanté dans les villes, parmi les ouvriers et les employés, hostiles aux paysans dont la foi et la mentalité leur sont étrangers. Quant à l’armée, la majorité de ses cadres sont francs-maçons.
A l’arrière-plan se tiennent les Etats-Unis, dont les loges ont inscrit à leur programme la guerre contre le Mexique catholique. Cela se traduit par une guerre économique et financière, puis par un soutien actif à toutes les politiques anticléricales menées au Mexique. La logique est celle des WASP ; Elimination de tout ce qui n’est pas blanc, anglo-saxon et protestant.
C’est donc avec enthousiasme que les autorités américaines voient arriver au pouvoir des généraux mexicains tels que les loges les avaient rêvés : Successivement Carranza (1915-20), Obregon (1920-28), et Calles (1928-35). Obregon recevra d’ailleurs, à son accession au pouvoir, un télégramme des églises épiscopaliennes l’assurant de leurs prières « dans sa lutte pour desserrer l’étau de l’Eglise Catholique Romaine sur sa grande nation ».
Avec Obregon et surtout Calles, arrive un pouvoir révolutionnaire qui a 2 sources idéologiques :
- Celle des loges maçonniques US ; le Président Portes Gil peut dire en 1929 : « Au Mexique, état et maçonnerie sont une seule et même chose depuis plusieurs années ».
- Et en même temps, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, le Marxisme, dès que des relations diplomatiques sont établies avec l’URSS.
Il en ressort un programme révolutionnaire simple : La révolution, c’est la Nation. Et la Nation n’admet rien au dessus d’elle.
Or l’Eglise est la seule force indépendante et capable de constituer un contre-pouvoir. Elle est donc désignée officiellement comme « cause de tous les malheurs qui ont accablé le Mexique depuis la conquête espagnole ». La persécution ouverte commence en 1917, dans un pays miné par la famine et la grippe espagnole, avec le vote d’une nouvelle constitution. Parmi de nombreuses lois révolutionnaires, plusieurs provoquent de vives réactions, notamment :
- Les lois anticléricales : Les ordres religieux sont dissous. Le clergé perd ses droits civiques, n’a plus le droit d’enseigner, ni de voter, ni de posséder. Les prêtres doivent s’inscrire à un registre d’état ; le but avoué est de créer une église nationale.
- Les lois sur l’école : Les parents perdent le droit de veiller à l’éducation des enfants, qui deviennent propriété de la Révolution Calles : « Nous devons nous emparer de la conscience de la jeunesse, parce que l’enfant appartient à la Révolution au corps collectif » (1934). C’est le début d’une rééducation très agressive des enfants dans les écoles. Endoctrinement révolutionnaire, éduction sexuelle à coups de films pornographiques, crucifix remplacés par des images obscènes ou sacrilèges, etc…
Calles, « el Jefe Maximo » finira par créer un parti unique, le Parti National Révolutionnaire, pour mieux contrôler la population.
Son fanatisme est presque dépassé par celui du gouverneur de l’Etat de Tabasco, Garrido Canabal. Dans cet état, les noms des rues qui portent des noms de saints deviennent des numéros. Les croix et inscriptions à caractère religieux sont arrachées et effacées jusque dans les cimetières, et les tombes, elles aussi, se voient dotées de numéros.
Les églises sont saisies et profanées, servent à des cérémonies parodiques et sacrilèges.
Le jour de la fête de N-D de Guadalupe, son image est brûlée en place publique, devant les enfants des écoles.
La crise éclate en Juillet 1926, avec la fameuse loi Calles, qui décrète la fermeture des écoles et des couvents, l’expulsion des prêtres d’origine étrangère, la limitation du nombre des prêtres mexicains, et leur enregistrement obligatoire. Les évêques se voient obligés de suspendre le culte dans toutes les églises du pays.
C’en est trop pour le peuple.
Dans les campagnes c’est le soulèvement spontané, sans concertation ni tactique militaire. Les paysans ne savent qu’une chose : Le gouvernement s’attaque à la royauté du Christ sur leur pays. Ils partent en criant : « Viva Cristo Rey, viva Nuestra Senora de Guadalupe ! ». De nombreuses lettres en témoignent : Ils ne cherchent pas tant la victoire que le sacrifice de leur vie pour mériter le salut de leur pays, le martyre plutôt que d’accepter la société sans dieu qu’on veut leur imposer. C’est la guerre des pauvres, des petits propiétaires ; la participation des Indiens est presque générale ; parfois des familles entières partent dans les montagnes. Pas de chef suprême, au début ; Les chefs sont choisis par les hommes, pour leurs qualités humaines et militaires. Les troupes fédérales sont attaquées avec des pierres, des bâtons, des fourches, des machettes. Les armes et les munitions doivent être prises su l’ennemi. Les premiers assauts se soldent par des massacres de paysans. Puis l’organisation s’améliore : Aux batailles rangées succède la guérilla, sous l’influence du Général Gorostiteta, agnostique qui sympathise avec la cause des Cristeros et devient leur théoricien tactique. Le manque de moyens est compensé par l’ardeur des troupes que les chef ont beaucoup de mal à canaliser. L’armée fédérale les redoute. La répression est féroce : Massacres de villages, pillages, tortures, viols ; Leurs « colonnes infernales » torturent avec une férocité inouïe les insurgés qui tombent entre leurs mains, surtout si ce sont des prêtres ou des femmes, membres des fameuses « brigades féminines » dont la jeunesse et le courage font l’admiration.
Le gouvernement a contraint les prêtres à quitter les campagnes. Une centaine d’entre eux restent, pour assister les combattants. Quatre-vingt-dix seront pris et fusillés, parfois après d’horribles tortures. Les Fédéraux, environ 150 000, ne résisteront qu’à grand-peine à la guérilla, contre laquelle ils ne savent pas lutter. Ils s’efforcent de tenir les villes et les voies ferrées. Pour les campagnes, la seule consigne est d’y semer la terreur. Aidés par l’argent et les munitions américaines, ils tiendront seulement le temps pour leur gouvernement de négocier un cessez-le-feu avec le Vatican.
Les troupes rebelles sont de plus en plus nombreuses, les morts sont aussitôt remplacés par leurs frères, leurs cousins, leurs amis. En Janvier 1927, ils sont 20 000, armés de fusils pris sur l’ennemi ; en Mars 1928, 35 000 ; en Mai 1929, 50 000.
L’armée fédérale demande sans cesse des renforts de troupes, d’avions, de munitions et d’argent. Ces derniers éléments sont largement fournis par les USA…
Dans les villes les messes sont clandestines, les prêtres sont traqués. Dans la rue ce sont les rafles, les viols, les arrestations surprises. On dénombre des centaines d’exécutions. Devant les pelotons d’exécutions les condamnés se tiennent les bras en croix, le chapelet à la main, et meurent en criant : « Vive le Christ-Roi, vive N-D de Guadalupe ! ». les Mexicains vénèrent particulièrement le Padre Miguel Pro, jeune Jésuite, fusillé avec plusieurs compagnons, et mort comme un saint après avoir pardonné à ses ennemis.
Très vite dans la population, s’organisent des réseaux clandestins qui servent au ravitaillement des combattants, au renseignement, au sabotage. Employés, étudiants, mères de familles… La plupart participent à l’effort de guerre, dans la mesure de leurs moyens, et trouvent parfois des complicités chez les épouses des chefs militaires, ou des décideurs de la grande bourgeoisie.
Finalement, parmi les Catholiques, les moins engagés sont les membres du clergé. Dès le début les évêques ont été très partagés sur la conduite à tenir ; seuls quelques uns approuvent ouvertement le soulèvement ; ils sont vite rappelés à l’ordre. Si la légitimité du combat armé a été reconnue, du bout des lèvres, la consigne qui prévaut est la prudence, et dès 1926 sont engagées des négociations avec le gouvernement. Pie XI est très mal renseigné – une de ses sources d’information est l’Ambassadeur de France qui soutient les loges américaines. Les consignes romaines interdisent aux Catholiques tout engagement politique – Pour l’engagement militaire, l’interdiction n’est pas explicite, mais Rome manifeste un hostilité marquée à tout engagement armé. Interdiction est faite aux prêtres de soutenir l’insurrection.
En Juin 1929, le gouvernement, pressé de mettre un terme à la guerre avant les élections présidentielles, obtient finalement l’aboutissement des négociations avec le Vatican ; ce sont les fameux « arreglos ».
Les Cristeros reçoivent du général qui a pris leur tête le télégramme qui restera longtemps dans leur mémoire, leur ordonnant « de se présenter à leurs autorités militaires et de faire livraison du matériel de guerre, pour recevoir sauf-conduits et retourner à la vie civile, jouissant garantie que donne la constitution à tous les citoyens honorables et conscients de leur devoir ».
Alors qu’ils étaient vainqueurs sur le plan militaire, des négociations se sont faites sans leur accord, qui les transforment en vaincus.
Ils doivent cesser la lutte et rendre les armes, sans contrepartie. Le télégramme tombe comme un couperet. Pour le peuple combattant c’est la stupeur, l’incompréhension, l’amertume. Pour beaucoup, la tentation est grande de se révolter contre Rome mais c’est finalement la foi qui l’emporte. Preuve que c’était bien pour Dieu qu’ils s’étaient battus : Ils obéissent en renonçant à leur victoire humaine pour ne pas désobéir à Dieu, à travers ses représentants.
C’est peut-être dans cette obéissance ultime qu’ils sont le plus héroïques.

Les victoires de Dieu ont souvent l’air de défaites humaines – la gloire du Christ a été d’être obéissant jusqu’à la mort. Il était logique que la gloire des Cristeros soit de l’imiter jusqu’au bout, dans une obéissance à un ordre du Pape qu’il nous est encore bien difficile de comprendre.
Ils ont reçu leur récompense dans un monde qu’il ne nous est pas encore donné de connaître.
Que sont-ils devenus ?
Près de 100 000 d’entre eux sont morts en combattant. Beaucoup ont été enlevés, ou exécutés sommairement. Certains, se sachant recherchés, s’enfuient dans les montagnes, et mènent une vie de proscrits pendant des années. Beaucoup retournent à leur ferme et doivent composer avec les lois anticléricales, encore en vigueur de nos jours, ce qui est une autre forme de martyre.
Un deuxième soulèvement aura lieu en 1935, moins important que le premier, et sans plus de résultat.

De cette épopée magnifique, il nous reste un exemple de foi, de générosité, de mobilisation totale pour le règne du Christ sur toute la vie sociale. Il nous reste un cri qui claque comme une bannière, notre bannière :

Viva Cristo Rey !

Julie Maries.