dimanche 24 janvier 2010

Le testament de Saint Charlemagne.

Charlemagne, fils de Pépin le Bref et de Bertade appelée dans la légende Berthe aux grands pieds, naquit le 2 avril 742, partagea, en 768 avec son frère Carloman l'héritage de Pépin le Bref, demeura, en 771, à la mort de Carloman, seul maître du Royaume des Francs, et fut couronné empereur d'occident à Rome, par le pape Léon III, en l'an 800, le jour de la fête de Noël.

Charlemagne s'efforça de faire revivre la civilisation mourante, ou plutôt déjà morte ; il refoula les Arabes, dompta les Germains encore presque sauvages, détruisit l'empire des Avares, et imposa le christianisme à ces peuples païens ; évangélisation violente contre laquelle se prononça, pour l'honneur de l'humanité, l'illustre Alcuin, abbé de Saint-Martin de Tours. Charlemagne réforma l'Église, détruisit les abus qui l'avaient envahie, et s'efforça de combattre l'ignorance grossière des clercs. Tout en restaurant l'étude du grec et du latin, il s'occupait avec amour de sa langue maternelle, en commençait même une grammaire et composant un recueil de vieux chants nationaux.

L'empereur entendait volontiers pendant ses repas un récit ou une lecture ; et c'étaient les histoires et les hauts faits des temps passés qu'on lui lisait d'ordinaire. Il aimait aussi beaucoup les ouvrages de saint Augustin, et particulièrement la Cité de Dieu.

Son activité était incessante : elle, avait quelque chose de fiévreux ; il se relevait pour travailler jusqu'à quatre ou cinq fois dans la même nuit ; il conférait avec ses amis et ses conseillers tout en se chaussant en s'habillant et il lui arriva de rendre des sentences et de prononcer des jugements en faisant sa toilette comme s'il eût siégé sur son tribunal. Prodigieux efforts d'un homme qui s'épuise à une œuvre impossible, et qui lutte contre toutes les forces de son temps ! A cette époque, le morcellement de l'Europe occidentale était commencé : les peuples se séparaient les uns des autres et brisaient leurs entraves. C'était un immense travail d'enfantement d’où devait sortir les nations modernes. Pour fonder un empire solide, il eût fallu à Charlemagne la force d'arrêter ce mouvement du monde ; il ne l'arrêta pas, mais il l'entrava un instant, et rendit pour quelques années l'unité à l'Occident chrétien. Quand il mourut le 28 janvier 814, sa domination s'étendait de Pampelune à Raguse, de l'Eyder jusqu'à la terre d'Otrante, et de la Theiss jusqu'à l'océan Atlantique.

Les peuples ont mesuré longtemps la grandeur d'un homme à l'étendue de sa puissance. Charlemagne, ayant été démesurément grand dans l'espace, fut aux yeux des nations le grand homme par excellence. L'imagination populaire s'empara de cette forte figure historique, et Charlemagne inspira une vaste poésie nationale, une légende gigantesque qui a traversé mille ans pour arriver jusqu'à nous.

DISCOURS PRONONCE PAR CHARLEMAGNE DANS UN CHAMP-DE-MARS


Charlemagne réunissait fréquemment de nombreuses assemblées où délibéraient les grands de l'empire, clercs et laïques. L'exhortation pieuse que nous publions aurait été prononcée, d'après M. Pertz, au mois de mars de l'an 802, dans l'une de ces assemblées réunies à Aix-la-Chapelle. L'empereur paraît y congédier ses leudes. Ce discours, qui nous donne une idée de l'éloquence de Charlemagne, si vantée par Éginhard, s'appellerait donc, en style moderne, un discours de clôture après la session législative. Il est adressé à l'ensemble de la nation, aux évêques, aux chanoines, aux guerriers, aux femmes et aux enfants.
Il résulte de ce texte que les femmes pouvaient assister aux grands plaids nationaux, et que les guerriers francs s'y rendirent quelquefois accompagnés de leur famille tout entière. Ce n’est pas, du reste, le seul document de ces temps-là qui nous montre les femmes se mêlant aux affaires publiques : on vit au IXème siècle les religieuses elles-mêmes s'occuper de politique. Un concile tenu à Nantes le leur défendit ainsi qu'aux veuves.

Une partie de ce curieux discours nous est parvenue dans un manuscrit du Xème siècle : il est transcrit intégralement dans un manuscrit du XIème. Nous reproduisons, à l'exemple de M. Pertz, cette transcription barbare, afin de donner un spécimen de la science des copistes du XIème et du XIIème siècle.

DISCOURS DU SEIGNEUR CHARLES, EMPEREUR

Écoutez, frères bien-aimés ! Nous avons été envoyés ici pour votre salut, afin de vous exhorter à suivre exactement la loi de Dieu et à vous convertir dans la justice et la miséricorde à l'obéissance aux lois de ce monde.
Je vous exhorte d'abord à croire en un seul Dieu tout-puissant, Père, Fils, et Saint-Esprit Dieu unique et véritable, Trinité parfaite, Unité véritable, Dieu créateur des choses visibles et des choses invisibles, dans lequel est notre salut, et qui est l'auteur de tous biens. Croyez au Fils de Dieu fait homme pour le salut du monde, né de la Vierge Marie par l'opération du Saint-Esprit. Croyez que pour notre salut Il a souffert la mort ; que, le troisième jour, Il est ressuscité des morts ; qu'Il est monté au ciel, où Il est assis à la droite de Dieu. Croyez qu'Il viendra pour juger les vivants et les morts, et qu'Il rendra alors à chacun suivant ses œuvres.
Croyez en une seule Église, c'est-à-dire en la société des bons par tout l'univers ; et sachez que ceux-là seuls pourront être sauvés, et qu'à ceux-là seulement le royaume de Dieu appartient, qui persévèrent jusqu'à la fin dans la foi, la communion et la charité de cette Église. Ceux qui à cause de leurs péchés sont exclus de cette Église, et ne reviennent pas vers elle par la pénitence, ne peuvent faire en ce siècle aucune action, qui soit acceptée de Dieu. Soyez persuadés que vous avez reçu au baptême l'absolution de tous vos péchés. Espérez en la miséricorde de Dieu, qui nous remet nos péchés de chaque jour par la confession et la pénitence. Croyez à la résurrection de tous les morts, à la vie éternelle, au supplice éternel des impies.

Telle est la foi qui vous sauvera, si vous la gardez fidèlement et si vous y joignez les bonnes œuvres ; car la foi sans les œuvres est une foi morte, et les œuvres sans la foi, même quand elles sont bonnes, ne peuvent plaire à Dieu. Aimez donc d'abord le Seigneur tout-puissant de tout votre cœur et de toutes vos forces ; tout ce que vous croyez devoir Lui plaire, accomplissez-le toujours, selon votre pouvoir, avec le secours de Sa grâce ; mais évitez tout ce qui Lui déplaît ; car il ment celui qui prétend aimer Dieu, et ne garde pas Ses commandements.

Aimez votre prochain comme vous-mêmes ; et faites l'aumône aux pauvres selon vos ressources. Recevez les voyageurs dans vos maisons ; visitez les pauvres, et soyez charitables pour les prisonniers ; autant que vous le pourrez, ne faites de tort à personne, et ne vous accordez point avec ceux qui font tort à autrui ; car il n'est pas mal seulement de nuire au prochain, il est mal encore de s'entendre avec ceux qui lui nuisent. Pardonnez-vous mutuellement vos offenses si vous voulez que Dieu vous pardonne vos péchés.

Rachetez les captifs, secourez ceux qui sont injustement opprimés, défendez les veuves et les orphelins : prononcez des jugements conformes à l'équité ; ne favorisez aucune injustice ; ne vous abandonnez point à de longues colères ; évitez l'ivresse et les festins inutiles.

Soyez humbles et bons les uns envers les autres ; soyez fidèles à vos seigneurs ; ne commettez ni vols, ni parjures, et n'ayez aucune entente avec ceux qui en commettent. Les haines, la jalousie et la violence nous éloignent du royaume de Dieu. Réconciliez-vous au plus tôt les uns avec les autres ; car, s'il est dans la nature de l'homme de pécher, s'amender est angélique, mais persévérer dans le péché est diabolique.

Défendez l'Église de Dieu et aidez-la, afin que les prêtres de Dieu puissent faire prier pour vous. Souvenez-vous de ce que vous avez promis à Dieu au baptême : vous avez renoncé au démon et à ses œuvres ; ne retournez point vers lui, ne retournez point aux œuvres auxquelles vous avez renoncé ; mais demeurez dans la volonté de Dieu comme vous l'avez promis, et aimez Celui qui vous a créés et par lequel vous avez eu tous les biens. Que chacun serve Dieu fidèlement dans la place où il se trouve.

Que les femmes soient soumises à leurs maris, en toute bonté et pudeur ; qu'elles se gardent d'actes déshonnêtes, qu'elles ne commettent point d'empoisonnements et ne se livrent point à la cupidité, car ceux qui commettent ces actes sont en révolte contre Dieu. Qu'elles élèvent leurs fils dans la crainte de Dieu, et qu'elles fassent l'aumône suivant leurs fortunes, d'un cœur bon et joyeux.

Que les maris aiment leurs femmes et ne leur disent point de paroles déshonnêtes ; qu'ils dirigent leurs maisons avec bonté et qu'ils se réunissent plus souvent à l'église. Qu'ils rendent aux hommes ce qu'ils leur doivent sans murmure, et à Dieu ce qui est à Dieu, de bonne volonté.

Que les fils aiment leurs parents et les honorent. Qu'ils ne leur désobéissent point, et qu'ils se gardent du vol, de l'homicide et de la fornication ; qu'ils prennent, quand ils auront atteint l'âge du mariage, une femme légitime, à moins qu'ils ne préfèrent entrer au service de Dieu.

Que les clercs et les chanoines obéissent diligemment aux commandements de leurs évêques ; qu'ils gardent leur résidence, et n'aillent point d'un lieu à un autre. Qu'ils ne se mêlent point aux affaires du siècle. Qu'ils conservent la chasteté : la lecture des saintes Écritures doit les rappeler fréquemment au service de Dieu et de l'Église.

Que les moines soient fidèles aux promesses qu'ils ont faites à Dieu ; qu'ils ne se permettent rien de contraire à la volonté de leur abbé ; qu'ils ne se procurent aucun gain honteux. Qu'ils sachent par cœur leur règle et la suivent régulièrement, se rappelant que, pour un grand nombre, il eût mieux valu ne pas prononcer de vœu que de ne pas accomplir le vœu prononcé.

Que les ducs, les comtes et les juges soient justes envers le peuple, miséricordieux envers les pauvres, qu'ils ne vendent point la justice pour de l'argent, et qu'aucune haine particulière ne leur fasse condamner les innocents. Qu'ils aient toujours dans le cœur ces paroles de l'Apôtre : Il nous faudra comparaître tous devant le tribunal du Christ, où chacun sera jugé selon ses œuvres, bonnes ou mauvaises. Ce que le Seigneur a exprimé par ces paroles : Comme vous aurez jugé, ainsi vous serez jugé vous-même, c'est-à-dire, soyez miséricordieux afin que Dieu vous fasse miséricorde.

Il n'y a rien de secret qui ne doive alors être connu, rien de caché qui ne doive être découvert. Au jour du jugement nous rendrons compte à Dieu de toute parole inutile. Efforçons-nous donc, avec le secours de Dieu, de Lui plaire dans toutes nos actions, afin qu'après la vie présente nous méritions de nous réjouir dans l'éternité avec les saints du Seigneur.

Cette vie est courte, et l'heure de la mort est incertaine ; qu'avons-nous autre chose à faire, sinon à nous tenir toujours prêts ? N'oublions pas combien il est terrible de tomber entre les mains de Dieu. Par la confession, la pénitence et l'aumône nous rendons le Seigneur miséricordieux et clément ; s'Il nous voit revenir vers Lui de tout cœur, Il aura aussitôt pitié de nous et nous fera miséricorde.

Seigneur, accordez nous les prospérités de cette vie, et l'éternité de la vie future avec vos saints.
Que Dieu vous garde, frères bien-aimés !


TESTAMENT DE CHARLEMAGNE


Il fit, l'an 811, un Testament pour disposer des trésors de son épargne en faveur des pauvres et des églises. Pour cela, il fit faire l'inventaire de l'or et de l'argent, des pierreries, et des autres ornements royaux et bijoux qui étaient dans son palais, et il en forma trois lots.

Il joignit ensemble les deux premiers lots, et en fit vingt et une parts, qu'on scella de son sceau, pour être distribuées en aumônes, après sa mort, par ses héritiers, à vingt et une Églises métropolitaines.
Il ordonna que chaque métropolitain, ayant reçu la part qui lui était destinée, en gardât le tiers pour son Eglise, et partagent les autres deux tiers entre ses suffragants.

Il nomma ainsi ces vingt et une métropoles : Rome et Ravenne, qui, sans faire proprement partie de ses États, étaient sous la protection du défenseur armé de l'Église romaine ; Milan, Frioul, Grade, Cologne, Mayence, Salzbourg, Trèves, Sens, Besançon, Lyon, Rouen, Reims, Arles, Vienne, Tarentaise, Embrun, Bordeaux, Tours et Bourges.
On ne voit dans cette énumération ni Eause, ni Aix, ni Narbonne. Eause avait été ruinée par les musulmans, et la dignité de métropole n'avait pas, sans doute, encore été transférée à Auch. Quelques-uns croient qu'on contestait encore à Aix le droit de métropole. Mais Charlemagne pouvait avoir quelque raison de l'omettre, aussi bien que Narbonne, qui était certainement une des plus anciennes Églises métropolitaines. Peut-être avait-il fait quelque donation particulière à ces Églises ?

A l'égard du troisième lot, il voulut qu'on s'en servît pour les dépenses ordinaires de sa maison, et qu'après sa mort ou son abdication, on fit de ce qui en resterait quatre parts, dont la première serait ajoutée aux vingt et une parts destinées aux Églises, la seconde partagée entre ses enfants, la troisième distribuée aux pauvres, la quatrième réservée aux esclaves de l'un et de l'autre sexe qui servaient le palais.

Il ordonna d'ajouter à la part des pauvres tous les vases de cuivre et de fer, les armes, les habits et les meubles de son palais. Il ne voulut pas qu'on touchât à sa chapelle, c'est-à-dire aux ornements et aux vases qui servaient à l'autel ; mais il prescrivit de vendre au profit des pauvres les livres de sa bibliothèque.

Charlemagne avait dans son trésor trois grandes tables d'argent et une d'or. Il donna à l'église de Saint-Pierre celle qui était carrée, et sur laquelle étaient gravés le plan et la description de Constantinople. Il légua à l’église de Ravenne celle qui était ronde, où étaient gravés le plan et la description de Rome. Une troisième table d'argent contenait en trois orbes la description de tout le monde : il la fit réserver, avec celle qui était d'or, pour grossir la part des pauvres et celle de ses héritiers.
Le Testament de Charlemagne est signé de plusieurs archevêques, évêques, abbés, et de quelques comtes.

Les archevêques sont Hildebode de Cologne, Riculfe de Mayence, Arnon de Salzbourg, Vulfaire de Reims, Bernoïn de Besançon, Leidrade de Lyon, et Jean d'Arles.
Les évêques sont Théodulfe d'Orléans, Jessé d'Amiens, Heiton de Bâle, et Valsgaud de Liége.
Les abbés sont Fridugise de Saint-Martin de Tours, disciple et successeur d'Alcuin, Adalongue de Lauresheim, Engilbert de Centule, et Irminon de Saint-Vincent, c'est-à-dire de Saint-Germain des Prés.
Les plus connus des comtes qui souscrivirent cet Acte sont Vala, frère de saint Adalard, et Gérold, de la reine Hildegarde.