mercredi 27 janvier 2010

La Doctrine Sociale de l'Eglise.

La doctrine sociale de l’Église catholique constitue-t-elle aujourd’hui un modèle à opposer au libéralisme planétarisé ?

Née progressivement au XIXè et XXè siècle en réaction aux ravages de la Révolution industrielle sur le plan social et à la montée des socialismes, cette doctrine a fait l’objet d’une trentaine d’encycliques dont la fameuse Rerum Novarum de 1891 qui plaidait pour une organisation corporative de la société.
Aujourd’hui, nombre de [prétendus] prélats se vautrent dans le prêt-à-penser humanitariste et s’alignent sur les positions du gauchisme en matière d’économie et d’immigration. Mais que dit réellement la doctrine officielle du Vatican depuis deux siècles ?

Propriété privée, organicité, corps intermédiaires

La doctrine sociale de l’Église s’articule autour de trois grands principes.
La propriété privée : elle est condition et garantie de la liberté personnelle. A contrario le libéralisme concentre celle-ci entre les mains d’un petit nombre et le socialisme la concentre aux mains de l’État.
Le rôle essentiel des corps intermédiaires entre individu et État : familles, entreprises, métiers, professions, écoles, paroisses, associations. Anciennement appelés corporations, groupant par corps de métiers sans distinction de classes tous les membres d’un métier.

À contrario, le libéralisme tend à dissoudre les associations professionnelles pour ne laisser que l’intérêt général (vidé de son sens organique) et l’intérêt particulier (qui prend aujourd’hui un caractère tératologique par l’abolition des règles et donc finalement par le règne du plus fort). Le socialisme, quant à lui, entend éradiquer tous les corps intermédiaires et organiser la société par une main mise étatique sur tous les domaines d’activités sociales.

La société organique : elle est dans la doctrine sociale de l’Église à l’image du corps humain : « Cette image du corps humain, comme modèle de la société, se retrouve dans la plupart des encycliques. Ce n’est pas par hasard que la plus grande des encycliques sociales est celle sur le Corps mystique du Christ, où le Pape parle de l’homme inséré dans la création dont le Christ est la tête et chaque personne un membre. Dans un corps chaque organe a sa fonction propre, différente des autres. Organes inégaux en puissance, en moyens, en attributions, en taille…Ils sont complémentaires et se fondent dans un tout organique. Au plan spirituel l’Eglise constitue le Corps mystique du Christ. » (1)

Il en résulte un principe d’union des classes (qui trouve son origine dans la doctrine de « l’Amour du prochain »). La solidarité, autre nom laïcisé de la charité chrétienne, est sans doute une nécessité économique ou un facteur politique mais c’est surtout un impératif moral. Cette solidarité s’exprime notamment d’abord au sein des corps intermédiaires puis s’étend au reste de la société.
Sans entrer dans un excès de détail, passons en revue quelques conséquences idéologiques et pratiques des trois grands principes précités.

Economie de convivialité

Le langage comme la pratique économique actuelle relève de la sphère militaire : conquête du marché, guerre des prix, stratégies industrielles, capitaine d’industrie, absorption, campagne publicitaire avec pour conséquence l’élimination du concurrent, sa digestion et la création de monopoles de fait, la disparition des entreprises familiales au profit de groupes commerciaux contrôlés par des financiers imposant une standardisation des produits. Un artisan, un petit commerçant, voyant son affaire grandir, doit plutôt avoir le réflexe de stopper cette croissance et de diriger la clientèle excédentaire vers un autre artisan ou commerçant. Cette logique d’économie conviviale, apaisée est défendue de tout temps par l’Église. Elle se traduit aussi par la transmission d’un savoir : l’artisan qui aide son apprenti à se mettre à son compte. Pour reconstruire cette économie conviviale, soulignons l’importance de l’organisation des métiers en corps, corps qui organise la solidarité entre membres.

Rôle de l’Etat

L’autorité de l’État doit se limiter à ses fonctions régaliennes. Mais il peut et doit aider les corps intermédiaires à se revitaliser et à assumer leur rôle stratégique, non pas par des lois mais par des aides ou des incitations. Bref favoriser la coopération des corps intermédiaires. Ces mêmes corps intermédiaires doivent aussi retrouver une représentativité effective au niveau des institutions parlementaires. En cas de crises, l’État peut intervenir par exemple par le lancement de grands travaux.

On est loin de l’État spectateur, inexistant et contrôlé par des bourgeois et des financiers tel que le libéralisme le conçoit et de l’État léviathan, contrôlant jusqu’au moindre déplacement d’air, du socialisme. À noter qu’aujourd’hui, les États démocratiques européens marient l’outrance libre-échangiste et le fonctionnariat massif qui enserre le citoyen dans une toile de plus en plus serrée de réglementations et d’interdits.

Concurrence

La DS de l’Église est on ne peut plus claire quant aux dangers de la concurrence dans sa version libérale ou marxiste. Il faut dénoncer le caractère contre-nature de la concurrence libérale comme de la lutte des classes, son pendant marxiste. Un régime économique ordonné ne peut jaillir de la libre concurrence, car celle-ci ne revêt, selon Pie XI, aucune qualité morale et sociale intrinsèque. On peut multiplier les extraits d’encycliques. « Il est mauvais que les hommes travaillent les uns contre les autres », disait Péguy ; « ils doivent travailler les uns avec les autres ».

L’économie doit être la recherche de l’excellence. L’émulation portera sur la qualité non sur les prix ou la conquête effrénée de parts de marché.
« Jamais un homme de métier n’aurait imaginé l’économie sous l’angle exposé par Adam Smith. Car le moteur de son travail n’est pas le marché, ni le profit en lui-même. Son objectif n’est pas de vendre plus, mais de fabriquer mieux, de servir mieux, de garder et transmettre ses connaissances, un savoir-faire et d’en tirer un revenu honnête.(…) Ses collègues ne sont pas des concurrents. Ce sont des compagnons, des cum panis, ceux avec qui l’on partage le pain. Ce fut durant des siècles l’esprit du compagnonnage. C’est celui de la doctrine sociale de l’Église. »(2)

Afin d’éviter aussi l’emprise du secteur financier parasitaire, ce sont les hommes de métier qui doivent contrôler le secteur de la distribution.
Une politique de concertation dans le cadre des corps de métiers, si elle avait encore existé, aurait de même permis de contrôler et limiter l’appel à la main-d’oeuvre au strict nécessaire, en fonction de pénuries temporaires réelles et non en fonction d’une idéologie voulant maximiser les échanges d’humains, déraciner et métisser.

Subsidiarité

La personne est intégrée dans différents corps naturels organiques s’articulant selon le principe de subsidiarité, lequel peut se définir de la manière suivante :
« Laisser le maximum d’initiatives, de libertés et de responsabilités aux personnes et aux corps intermédiaires organisés qui les intègrent dans les organes de la vie sociale : famille, métiers, associations, communes, écoles, provinces, états,… » (3). Les corps intermédiaires de niveau supérieur n’ont qu’une fonction d’aide et de suppléance.
« Une cité catholique est par nature, par ordre naturel des choses, un emboîtement de corps intermédiaires se suppléant les uns aux autres. C’est pourquoi on peut qualifier la doctrine sociale de l’Eglise de doctrine subsidiariste. » (4)

Conclusion

La DS de l’Eglise plaide donc pour la reconstitution d’un ordre social organique, radicalement différent et non une troisième voie entre socialisme et libéralisme, pour un retour à une nouvelle synthèse entre vie et religion - débouchant sur d’autres rapports économiques et sociaux -, telle qu’elle exista non sans peine depuis l’avènement de la Chrétienté en Europe et dont la Révolution Française avait entamé l’éradication.

Pierre Heuvelman pour ID Magazine

(1) Libéralisme-socialisme – Deux Frères ennemis face à la doctrine sociale de l’Eglise, Benjamin Guillemaind, Pierre Téqui éditeur, 2001, page 16.
(2) Idem, page 170.
(3)Idem, page 211.
(4) Idem, page 211.